À l’occasion du festival Rock en Seine 2022, nous avons rencontré Trentemøller, le prodige danois de la musique électronique. Avec le sombre et introspectif Memoria, son plus long album, il nous fait embarquer à la conquête de l’espace infini des sons.
Producteur, compositeur légendaire de musique électronique et figure de l’univers du clubbing, le danois Anders Trentemøller poursuit sa carrière solo avec succès depuis une bonne quinzaine d’années désormais.
Réputé pour ses ambiances très personnelles, spacieuses et denses, il partage la vision très ténébreuse de la musique de Joy Division, Depeche Mode ou Siouxsie and the Banshees, influences qu’il cite régulièrement. Au cours de sa carrière, il aura été amené à travailler avec Röyksopp, Moby, The Knife, Low et bien d’autres, et fondé son propre label, In My Room.
Quinze ans après le succès de son album The Last Resort (2006), Trentemøller, qui aura bientôt 50 ans, a sorti en février dernier son sixième album studio, Memoria, qui, loin d’être un album de musique électronique pure comme ses travaux plus récents, oscille entre synthpop, ambient, new wave et shoegaze, et agit comme un véritable sortilège.
Nous l’avons rencontré le 26 août dernier à l’occasion du festival Rock en Seine, au Parc de Saint-Cloud à Paris, où il s’est produit le soir même avec son nouveau groupe. Décontracté, très bavard, il nous a parlé de sa tournée européenne, de ses projets à venir ou encore de son passé en tant que maître à l’école maternelle.
Tu es content de jouer à nouveau en live ?
Oui, vraiment, c’est très agréable. Après le coronavirus, tous ces confinements ont été vraiment embêtants et ennuyeux pour tous les artistes. Parce qu’on avait envie de sortir et de jouer notre musique… Et quand mon album est sorti il y a trois ans [Observe, sorti en 2019, ndlr], c’est le moment où le monde entier s’est arrêté. Puis, mon nouvel album est arrivé cette année, mais beaucoup de dates, notamment en Europe ont encore été annulées ou reportées… Depuis le début de notre tournée de cette année, on n’a fait que quinze concerts depuis février. Après l’Europe, on ira en Amérique du Nord.
Quels sont les artistes qui vont jouer avec toi sur scène ce soir ? Est-ce que c’est ton groupe habituel ?
Non, pas du tout ! C’est un nouveau groupe que j’ai monté. J’ai joué avec le même groupe au cours des dix dernières années, donc je voulais vraiment faire quelque chose de totalement différent. Et avoir une nouvelle énergie. Et j’ai choisi ces gens-là parce que j’aime vraiment ce qu’ils font. Ils ont tous leur propre projet musical, et ils viennent tous de Copenhague — à part la chanteuse [Disa Jakobs], qui vient d’Islande. J’adore ce que donne ce groupe quand on joue ensemble.
Lorsque j’ai commencé à faire de la musique électronique, je n’aimais pas vraiment jouer en groupe car il y a trop de compromis à faire. Mais ça, c’était il y a seize ans. Maintenant, cela fait quinze ans que je joue avec un groupe. Par contre, j’aime l’idée de jouer en live avec un groupe, mais je préfère écrire la musique moi-même. Je ne suis donc pas vraiment avec le groupe lorsque j’écris de la musique.
Mais nous en avons parlé : comme nous nous entendons vraiment très bien ensemble, on envisage peut-être de louer une maison à la campagne et d’essayer d’écrire de la musique ensemble. Parce que jusque-là, j’ai toujours écrit tout seul, et j’aime vraiment ça, mais peut-être qu’il est temps d’essayer de sortir de ma zone de confort, et de faire quelque chose de nouveau.
En plus, ce dernier album Memoria était assez personnel pour toi. Je pense aussi au fait que c’est ta partenaire, Lisbet Fritze, qui est la seule chanteuse sur l’album, alors que tu travaillais toujours avec cinq ou six chanteuses d’habitude… ça révèle aussi à quel point c’était un travail plus « intime » non ?
Oui, absolument. C’était aussi très différent parce que c’est la première fois que j’ai écrit les paroles et les mélodies vocales que Lisbet chante toute seule. Cette fois-ci, je voulais vraiment avoir 100 % de contrôle sur ma musique. En général, lorsque je travaille avec une chanteuse, elle écrit les paroles et nous écrivons ensemble les mélodies. Mais cette fois, j’avais tellement d’idées pour la musique !
J’ai donc décidé d’écrire les paroles tout seul, mais c’était effrayant car c’était tout nouveau pour moi. Et j’étais assez dur avec moi-même : il fallait vraiment que ce soit bon. Mais je suis très heureux du résultat, et c’est venu assez facilement. Après quelques jours, ça devenait plus facile, je ne pensais plus tellement à la pression. Pour mon prochain album, je vais certainement essayer de développer cela, mais peut-être aussi d’écrire quelque chose avec mon groupe cette fois-ci ! Je ne sais pas encore ce que je vais faire.
Il y a beaucoup d’éléments paradoxaux dans ton album. Des moments de froideur et parfois une chaleur réconfortante, quelque chose d’assez glacial et de plus charnel… Qu’est-ce que tu as voulu mettre en avant ? Y’a-t-il un fil directeur dans cet album ?
Quand je travaille sur un album, j’essaie de ne pas avoir de plans du tout. J’essaye de ne pas m’enfermer dans des règles, parce que je sens que j’ai aussi besoin d’un espace dans lequel j’ai le droit de faire des erreurs. C’est aussi là qu’il peut y avoir des accidents heureux. J’ai beaucoup d’idées et, plus tard, je peux choisir ce qui se retrouvera sur l’album. Ou bien ce qui pourrait être amusant, mais que je pourrai utiliser plus tard, peut-être pour le prochain album ! Donc je m’amuse avec la musique.
Encore une fois, j’essaye de ne pas trop y penser, juste d’être dans le moment présent. Puis, je voulais vraiment me concentrer pour essayer d’écrire de bonnes mélodies… C’était très important pour moi que la partie mélodique soit puissante. Il était aussi important pour moi que les chansons puissent être jouées avec une guitare acoustique.
Les mélodies, c’est la meilleure façon selon toi de transmettre des émotions ?
Pour être honnête, je pense que le moyen le plus touchant pour transmettre des émotions, c’est la musique. C’est aussi ce qui est magique avec la musique : il n’y a pas de frontières. Nous avons joué en Chine, aux États-Unis, en Islande… et nous avons toujours reçu les mêmes réactions de la part du public. Surtout avec la musique instrumentale, quand on n’a pas besoin de paroles pour dicter le sujet de la chanson.
Et quel est le matériel que tu as utilisé pour cet album ? Était-il plutôt ancien ou récent ?
C’est un mélange des deux en fait. J’écris la plupart de mes chansons non pas avec mon ordinateur dans mon studio, mais devant mon vieux piano. Parce que j’aime me concentrer sur l’écriture des chansons. J’essaie des choses, et j’ai mon iPhone pour les enregistrer. Donc j’ai des milliers d’idées sur mon téléphone qui pourraient marcher.
J’ai aussi beaucoup de trucs dessus que je n’utilise jamais. Et d’autres, que si je ne les enregistre pas mais que je m’en souviens le lendemain, alors c’est que c’est une bonne chose et j’essaie de les reproduire de mémoire.
Beaucoup de tes morceaux ont été utilisés dans des films et des séries car ils ont quelque chose de très cinématographique. Est-ce que tu as l’intention d’écrire à nouveau des musiques de films ?
Non, pas vraiment parce que je l’ai fait il y a plusieurs années déjà. J’écrivais la musique d’un film, et c’était amusant mais c’était aussi beaucoup de travail. Je crois que ça m’a pris une année entière. Donc j’aimerais bien prendre le temps de faire ma propre musique et de l’utiliser sur mes albums. Mais ma musique a souvent été utilisée dans des films : Pedro Almodóvar l’a utilisée, Oliver Stone, Jacques Audiard…
C’est beaucoup plus simple pour moi parce que la chanson est terminée, mais qu’ils peuvent quand même l’utiliser. Je ne ressens pas l’envie de le refaire maintenant. Mais peut-être plus tard, quand je serai fatigué de faire ce que je fais en ce moment.
Comment est-ce que tu as voulu transposer cet album sur scène ?
Je voulais vraiment que cette tournée donne l’impression que ce n’est pas moi qui joue avec un groupe, mais qu’il s’agit d’un groupe dans son entièreté. Je me vois comme étant celui aux claviers. Au fait, avec Disa Jakobs, la chanteuse, nous avons fait un nouveau single qui sort vendredi prochain ! On avait commencé à jouer de la musique ensemble et c’était vraiment bien, elle a vraiment emmené ma musique dans son univers et ça colle parfaitement.
Tu vis toujours à Copenhague ? Et est-ce que tu as l’impression que l’environnement nordique t’inspire ou influence ce que tu fais ?
Pour être honnête, je pense que je pourrais faire ma musique partout. En fait, ce qui m’inspire, ce n’est pas tant la ville que la nature. Je me souviens que je suis allé une fois en Islande, et j’y suis retourné plusieurs fois depuis : ça m’inspire véritablement parce que c’est un paysage vraiment différent et très dramatique. C’est comme être sur la lune.
Ça m’a vraiment inspiré pour faire quelque chose d’assez sombre et dramatique. J’y étais aussi en hiver, et à cette période-là c’est fantastique ! La nature m’inspire plus que le fait d’être dans une grande ville. Copenhague c’est très beau, mais ne m’inspire pas tant que ça.
Je sais que tu as aussi travaillé dans un jardin d’enfants…
Oui, c’était il y a vingt ans ! Et j’ai effectivement fait ça pendant 7 ans. C’était amusant, mais en même temps assez difficile… Je faisais ma musique en même temps. Mais ce qui était bien, c’est que je ne travaillais que 3 jours par semaine. Donc le reste du temps, je pouvais jouer ma musique. C’était parfait.
Ça t’arrivait de jouer de la musique avec eux ?
Oui, c’étaient des enfants de 3 à 5 ans, donc des tout-petits. Ça m’est arrivé d’enregistrer leurs voix et de faire quelque chose de différent à partir de ça : ça les fascinait. En musique, je suis toujours à la recherche de ce qui est ludique. Je ne dois jamais avoir l’impression que c’est un travail ou quelque chose que je dois faire. C’est aussi pour cela que parfois je ne vais pas au studio.
Des fois, je suis trop fatigué, ou j’ai juste envie de faire autre chose. Il s’agit surtout de ce que je ressens, et j’ai conscience que c’est un privilège. Je n’ai plus besoin d’avoir un travail normal pour vivre de ce que je fais.
Quelle est votre prochaine étape avec ton groupe ?
Nous allons à Nimègue, aux Pays-Bas… Notre dernier concert européen se fera à Berlin. Ensuite, nous aurons trois semaines à Copenhague et puis départ pour l’Amérique !
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