Ultra-dominateurs de l’univers numérique, Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft symbolisent à eux 5 ce que la Silicon Valley a fait émerger de plus incroyable : des entreprises plus puissantes que des états. Nous sommes des consommateurs fidèles de leurs services et pourtant de plus en plus conscients de ce qu’ils représentent ou de ce qu’ils pourraient devenir. Leurs contributions à nos quotidiens vont bien plus loin que le divertissement, la consommation ou la recherche d’informations. Ils impactent directement la politique, la société, captent et utilisent bon nombre de nos données et ne versent qu’une maigre contribution fiscale aux états. Mais ces derniers ne lésinent pas sur les moyens investis pour réduire leur impact environnemental. Mieux encore, ils semblent en passe de s’imposer comme de futurs leaders sur les sujets des énergies renouvelables. Taxés de greenwashers, leurs actions sont pourtant loin d’être négligeables.
GAFAM et émissions de CO2
Le secteur du numérique émet à lui seul 2,8% des gaz à effet de serre (selon le rapport de Lancaster University et Small World Consulting – Décembre 2020), soit à peu près un impact similaire à celui du secteur de l’aviation pourtant beaucoup plus souvent montré du doigt.
Récemment, le dramatique incendie du datacenter d’OVH à Strasbourg a au moins eu le mérite d’aider le grand public à comprendre que le numérique est loin d’être virtuel et repose sur de lourdes infrastructures. Si l’utilisation du mot “cloud” laisse penser que le stockage des données flotte naturellement dans l’atmosphère, le véritable nuage généré par le numérique est plutôt composé de Gaz à Effet de Serre.
Les émissions de CO2 de notre consommation digitale se décomposent en deux parties : la production des infrastructures et des outils (fabrication de smartphones, TV, ordinateurs, … ) qui représentent la moitié et la consommation d’énergie pour l’autre moitié. Cette consommation d’énergie se découpe elle-même en 3 parties :
- le stockage des données dans les data-centers
- l’acheminement de ces données vers les écrans des utilisateurs grâce à l’infrastructure réseau
- la consommation d’énergie des écrans des utilisateurs.
Grossièrement, chacun de ces 3 points pèse pour ⅓ de cette seconde partie.
Source : Lean ICT, The Shift Project 2018
Les GAFAM interviennent directement et indirectement sur l’ensemble de la chaîne des émissions. Facebook par exemple, consomme énormément d’énergie pour faire fonctionner ses datacenters (et notamment pour les refroidir) mais agit peu sur l’acheminement des données (seulement sur le continent Africain où Facebook investit dans la connectivité numérique) et proportionnellement peu sur les supports permettant leur consommation (mis à part son écran Facebook Portal ainsi que les masques de VR Occulus). Amazon intègre certes une part importante du numérique dans son bilan carbone mais doit aussi prendre en compte les émissions de Gaz à Effet de Serre de ses entrepôts et bien évidemment celles du transport des marchandises. Aussi à elles 5 les GAFAM consomment 45 térawatt-heures par an, soit l’équivalent de la consommation d’énergie de la Nouvelle-Zélande. Et bien évidemment cette consommation n’aura de cesse de progresser, en partie pour répondre aux énormes besoins en énergie que nécessitent l’intelligence artificielle et le machine learning. Conscients de leurs impacts, les géants de la tech sont aujourd’hui les plus gros acheteurs d’énergies renouvelables de la planète.
Et à la lecture de leurs différents rapports environnementaux, cela couvre la totalité ou la quasi-totalité de leur consommation d’énergie.
Plus que des consommateurs, les GAFAM investissent à présent massivement dans la production d’EnR. Facebook finance une ferme solaire au Texas, Amazon investit dans des projets de fermes solaires et parcs éoliens un peu partout dans le monde.
Les GAFAM sont avant tout concurrents entre eux et ils se livrent actuellement à une immense bataille sur le terrain des EnR de façon à apparaître aux yeux du grand public comme plus vertueux que leur voisin. C’est aussi une façon de sécuriser la production d’énergie dans les années à venir, indispensable au bon fonctionnement de leurs services.
Les investissements sont conséquents et certains géants de la tech affirment même se fixer comme objectif le basculement du mix énergétique vers une large majorité d’EnR, au-delà même de la consommation de leurs propres services. Clairement, les GAFAM cherchent à s’imposer dans l’esprit collectif comme des leaders sur le sujet des énergies renouvelables.
Cependant, si ces engagements en matière d’utilisation d’EnR voire même de captation de CO2 dans l’atmosphère (Microsoft s’est engagé à capter dans l’atmosphère d’ici 2030 l’équivalent de 100% de ses émissions de CO2 depuis sa création) sont bien présents dans les stratégies des GAFAM, ces derniers n’évoquent jamais la réduction de leur consommation d’énergie.
Et c’est à partir de ce point que certains activistes et ONG émettent des doutes sur leurs intentions réelles. L’IT for green, soit l’utilisation des nouvelles technologies comme solution à l’urgence climatique, permettra-t-elle d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris (COP21) sans aucune remise en question du modèle de ces GAFAM ?
Amazon et ses livraisons en 24h symbolise à lui seul un modèle consumériste qui apparaît comme peu soutenable, même alimenté à 100% par des énergies renouvelables. Le développement de sa plateforme Prime Vidéo est plus que jamais dans l’air du temps d’un point de vue business, mais s’inscrit aussi dans un usage particulièrement énergivore avec la consommation de vidéo en ligne. Et c’est sur ce terrain que les GAFAM ont le moins envie d’agir, sur ces modèles qui stimulent la dopamine chez leurs utilisateurs et favorisent une consommation addictive. La remise en question de ces usages est-elle une question philosophique et de choix de société, ou est-ce indispensable pour lutter contre l’urgence climatique ?
En investissant des moyens considérables dans le développement des EnR, les GAFAM agissent concrètement et s’achètent par la même occasion une image verte auprès du grand public qui les aidera à atténuer le regard critique qu’on porte à leur encontre. Il est probable qu’on voit apparaître dans les années à venir des indicateurs d’émission de CO2 de notre consommation numérique (comme c’est aujourd’hui le cas dans le secteur du transport), à l’image de ce qui est déjà fait sur la question du bien-être numérique (comme la mise à disposition du temps hebdomadaire passé sur son écran d’Iphone). Et une fois de plus, les GAFAM en sortiront comme les grands vainqueurs grâce à leurs investissements dans les EnR, sans que ne soit jamais remis en question leur propre mode de fonctionnement.
Cet article est extrait de la 3eme édition de Voir la source
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