« Pour créer une destination, il faut donner envie, et pour donner envie, il faut la connaître », résume Jean-Louis Monti, le patron de JLT Voyages. Devant un plat de poisson frit et de purée d’igname posé sur la grande table du camp Cariacou, la conversation roule sur le potentiel touristique de la Guyane. Comme lui, une cinquantaine de pros se sont envolés fin mars vers ce bout de France voisin du Brésil, à l’occasion de la convention des Entreprises du Voyage Ile-de-France.
« Faire découvrir aux voyageurs des destinations qui sortent des sentiers battus fait vraiment partie de nos missions d’agents de voyages », a souligné en ouverture de la convention Lionel Rabiet, le président des Entreprises du Voyage Ile-de-France. « C’est vrai que la Guyane est une destination particulière, a poursuivi Marc Rochet, le patron d’Air Caraïbes, qui vient d’ouvrir une agence à Cayenne. Et généralement, quand on ne connaît pas, on a quelques réserves. On pense que c’est un territoire compliqué, difficile. La Guyane a encore beaucoup d’efforts de communication et de développement à mettre en œuvre. Mais je peux vous dire que vous rapporterez d’ici des souvenirs impérissables. La Guyane est un territoire qui vous touche, dans votre cœur, dans votre tête, parce que l’on revient très près de la nature. »
Rando, pirogue et nuit en carbet
Une nature littéralement omniprésente, effectivement. 96% de ce territoire grand comme le Portugal est occupé par la forêt tropicale. Soit quelque huit millions d’hectares d’une biodiversité exceptionnelle, a détaillé Loïc Buzaré, le directeur du Comité du Tourisme de Guyane (CTG), devant les pros réunis le lendemain pour un après-midi de conférences qui évoqueront notamment le développement du tourisme en Guyane.
Avec pareil terrain de jeu, l’écotourisme s’impose comme une évidence. La destination valorise les activités de pleine nature : randonnées pédestres (une brochure recensant les principaux sentiers sur le territoire vient d’être publiée), navigation en pirogue ou en canoë, observation de la faune et de la flore dans les réserves naturelles…
« Ici, la mer n’est pas bleue comme aux Antilles mais nous avons deux fleuves principaux, l’Oyapock et le Maroni où l’on peut vivre de formidables expériences », promet Loïc Buzaré. Avant d’évoquer les emblématiques carbets, constructions en bois légères d’origine amérindienne où l’on dort le plus souvent dans un hamac. Une vingtaine de participants ira passer une nuit au camp Cariacou, à une heure de pirogue de Kourou. Une immersion dans la nature coupés du monde, faisant aussi office de détox digitale. Pour beaucoup, la nuit en hamac ne sera peut-être pas la plus reposante qui soit. Mais le dépaysement est total. Et aux petits soins de l’équipe qui veille sur les hôtes, on est loin, très loin de Koh-Lanta.
« Non, la Guyane n’est pas une île… »
Reste qu’en dépit d’une offre riche, la Guyane souffre souvent d’une image négative et d’une méconnaissance de son territoire, y compris géographique. Au point de devoir rappeler que non, la Guyane n’est pas une île. « Et puis il y a toujours ce cliché avec les moustiques, les mygales et les serpents », rapporte Nathalie Prudent. La jeune femme a fondé il y a sept ans le réceptif Guyane Evasion, qui a pris en charge le groupe. Des « bestioles » qui chagrinent surtout les touristes en provenance des Antilles ou de métropole. Etonnamment, « ce n’est pas un sujet pour les touristes étrangers qui n’ont pas la même perception de la destination », remarque-t-elle. Une explication peut-être : certains voyageurs ont tendance à entretenir le mythe à leur retour pour passer pour des aventuriers. Même s’ils n’ont pas vu la moindre araignée, lançait quelques jours plus tôt un guide de la Compagnie des guides de Guyane sur le salon Destinations Nature, à Paris, lors de l’avant-première du documentaire Les plus beaux treks du monde. « Il y a un travail de démystification de la destination à faire, reconnaît Loïc Buzaré face aux interrogations des pros sur ces sujets. Nous sommes conscients de ces questions, c’est pour cela que nous participons à ce type d’opération avec les EDV. »
L’occasion, aussi, de dérouler un programme illustrant le triptyque « nature, culture et sciences » sur lequel la Guyane a axé sa stratégie touristique. En commençant par Cayenne, que surplombe le fort Cépérou, vestige de l’histoire mouvementée de la conquête de la Guyane. La balade s’achève au marché local. Les étals chargés de fruits, d’épices et de bouteilles de rhum côtoient les échoppes hmong, une des nombreuses communautés installées à Cayenne, ville cosmopolite. Aux îles du Salut, ralliées en catamaran, on parcourt une page d’Histoire, déambulant parmi les vestiges du bagne sous un soleil de plomb. En toile de fond, cocotiers et mer turquoise tranchent avec le lourd passé des lieux. La tête dans les étoiles dans la salle de contrôle du centre spatial à Kourou, les participants plongeront quelques jours plus tard « into the wild » dans la jungle amazonienne ou aux marais de Kaw, à la recherche des caïmans noirs.
« Il faut expliquer la destination au client »
Une démonstration qui a rapidement convaincu certains professionnels. Parmi eux, Elodie Marchais. Pour la directrice de l’unité Voyages de l’UCPA, pas la peine de tergiverser. « Quand je rentre, je donne le contact à mon chef de prod et c’est parti, on essaie. Nous allons mettre trois ou quatre dates en GIR. Nous allons tester pour l’UCPA et je n’exclus pas de le faire aussi pour La Balaguère dans une version un peu plus « confort ». C’est une destination que nous aurions dû faire depuis longtemps. Même pour des TO généralistes, programmer la Guyane peut représenter un avantage concurrentiel, car tout le monde ne le fera pas », estime-t-elle.
« Nous n’avons pas vu beaucoup d’animaux, mais en 24 heures, c’est compliqué de les apercevoir, pense Elodie Marchais, au moment de quitter le camp Cariacou. Et nous sommes quand même immergés dans un environnement où les animaux sont proches, on les entend. Ce qui me manque davantage, c’est de rencontrer les populations locales. Pour moi le tourisme doit être plus social. Ici, nous sommes en France, et il y a plus de trente ethnies différentes. C’est une vraie particularité. De ce point de vue, le Maroni doit être intéressant, même si c’est plus roots. »
« Ma décision est déjà prise », confirme lui aussi Jean-Louis Monti. Un vrai pari pour le TO spécialiste de la Polynésie qui diversifiera ainsi sa production sur une autre région du globe. Sa préoccupation : border au maximum la prestation pour une clientèle exigeante. Pour ça, le choix du réceptif sera déterminant. « Il faut aussi expliquer la destination au client, insiste le patron de JLT. C’est le rôle du TO de prévenir qu’ici, il n’y a pas l’interContinental de Bora Bora, ni le Kia Ora de Rangiora. Programmer la Guyane sans expliquer ni connaître, ça ne peut pas marcher. »
Doubler le nombre de touristes
Ils ne seront pas les seuls à décider de programmer la destination, sur le loisir, mais aussi sur le MICE. Pour certains professionnels cependant, l’absence d’une réelle dimension balnéaire reste un frein, leur clientèle aimant clore un séjour de découverte par quelques jours de farniente. D’autres regretteront un « manque d’enrobement touristique » lors de certaines visites. « La Guyane est très belle mais il faut encore faire évoluer l’offre, développer les produits », est également convaincue Nathalie Prudent.
Un point de vue partagé par Loïc Buzaré, qui ambitionne notamment de faire monter en gamme « les campements touristiques en véritables écolodges afin que [le] produit touristique puisse soutenir la comparaison avec le Costa Rica, par exemple ». La formation, le développement des infrastructures hôtelières et de l’aérien avec les pays voisins (seules trois compagnies desservent l’aéroport Félix-Eboué) : autant de sujets évoqués au fil des échanges pendant la convention. Des enjeux majeurs pour réellement faire décoller la destination et les retombées économiques. Notamment en termes d’emploi, sujet crucial sur ce territoire où la population est très jeune.
« S’il y a une filière qui peut vraiment propulser le territoire, c’est le tourisme. Après l’activité spatiale, nous y croyons fortement », assure le directeur du CTG. A l’heure actuelle, la Guyane, qui compte quelque 300 000 habitants, accueille environ 100 000 visiteurs par an, en grande partie des touristes d’affaires – liés à l’activité du centre spatial – ou affinitaires. « Si nous parvenons à franchir la barre des 150000 ou 200000 touristes, nous serons contents. »
Pour Nathalie Prudent, les signaux sont au vert. La fondatrice de Guyane Evasion observe une augmentation du nombre de touristes, en provenance de métropole mais aussi de l’étranger. « 2023 est partie pour faire mieux que 2019, qui était ma meilleure année », anticipe-t-elle. Une tendance portée par les nouvelles aspirations des voyageurs, en quête de destinations nature et de grands espaces depuis la crise du Covid, analyse la dirigeante du réceptif.
Vers un nouveau schéma de développement touristique
La destination a donc plus que jamais une carte à jouer. La Guyane planche d’ailleurs sur son prochain schéma de développement touristique avec une évolution significative. « Le prochain schéma sera prescriptif », explique Dimitri Lecante, le chef du service Expertise et qualité du Comité du tourisme guyanais. Ce qui signifie que les collectivités devront s’engager à mener les actions qui auront été définies, et pour lesquelles des moyens leur auront été alloués.
Le dernier schéma touristique remontait à 2013. « La Guyane n’était pas prête à ce moment là, relève Dimitri Lecante. Les Guyanais ont pris conscience de l’importance du tourisme lors des mouvements sociaux de 2017 et avec le Covid, poursuit-il. Ils ont alors redécouvert l’offre et le secteur touristique de la Guyane et se les sont réappropriés. Et ils sont exigeants ! »
« Nous voulons déployer un tourisme qualitatif, pas un tourisme de masse », insiste Dimitri Lecante. Encore faut-il que l’offre, et notamment l’hébergement, se développe. Ce qui suppose de l’investissement. « A ce niveau les choses bougent aussi », assure-t-il. La destination bénéficie en effet des fonds propres de la Collectivité territoriale guyanaise mais aussi des fonds européens pour aider les porteurs de projets à s’implanter sur son territoire grâce à des financements. « Au niveau des fonds européens, une nouvelle programmation a débuté le 1er avril », précise-t-il.
Pour la Guyane, la convention des EDV/IDF qui vient de se tenir doit être un tremplin. « Nous commençons déjà à avoir des retours, des prises de contact avec nos réceptifs. Un débrief sera effectué au mois de mai, détaille Dimitri Lecante. Nous avons mis la barre haut en recevant cinquante entreprises de ce niveau. Maintenant, il faut y aller, avec ce que ça comporte en termes de capacités et de réactivité, il faut tenir la promesse ! »
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