Mise à jour le 15/08/2023 : cet article publié à l’origine le 15 août 2018 a été mis à jour pour les 25 ans de l’iMac.
Il y a tout juste 25 ans, le 15 août 1998, débutait la commercialisation de l’iMac. On l’oublierait presque, maintenant qu’Apple est parvenue au firmament, mais cette annonce était un véritable pari. Un triple pari, même. Un pari sur le web, d’abord, alors que la logithèque du Mac supportait mal la comparaison avec celle des PC. Un pari sur la valeur du design, ensuite, alors qu’Apple elle-même ne vendait plus rien d’autre que des « boîtes beiges ». Un pari sur l’avenir, enfin, celui des technologies mais surtout celui de la firme de Cupertino.
Trois paris réussis, qui ont fait de l’iMac une icône, l’emblème du « deuxième acte » de Steve Jobs. L’iMac, pourtant, n’a pas tiré Apple de l’ornière. Les ventes de Mac n’ont pas repris durablement avant 2004, après une longue et douloureuse restructuration menée — déjà — par Tim Cook, après le développement de Mac OS X et la commercialisation d’une nouvelle gamme de machines portables, après le succès mondial de l’iPod et les retombées de l’« effet halo ».
Mais l’iMac a remis Apple en selle. Il incarne la résistance d’une société exsangue, la découverte de ressources inespérées, la capacité d’innover sous la contrainte. C’est le point de départ d’une reconquête, celle de la confiance des investisseurs, mais aussi et surtout celle de l’intérêt des clients. Retour sur la machine par laquelle tout a (re)commencé, une machine qui a marqué toute une époque, une machine qui a changé le visage de l’informatique : l’iMac G3 233 MHz.
Une machine doublement historique
Quoiqu’en disent les biopics de série Z, Steve Jobs n’a pas découvert Jony Ive au troisième sous-sol de l’Infinite Loop, et la paire n’a pas créé l’iMac d’un claquement de doigts1. Les origines du projet Colombus, ou C1, remontent à l’automne 1995 et les travaux sur l’eMate 300 (lire : Rétro MacG : l’eMate 300). Les collègues du designer anglais, qui a dessiné des peignes et des lavabos avant de rejoindre Apple en 1992, décident de casser les codes en s’inspirant du monde de l’automobile et des produits électroménagers.
Dyson qui met en scène son moteur cyclonique derrière un fût de plastique transparent, c’est Apple qui peut mettre en scène une carte-mère derrière un boîtier translucide. Thomas Meyerhöffer, John Tang et David Bail planchent sur des matériaux à l’apparence vaporeuse, qui révèlent les composants sans complètement les dévoiler. Une petite équipe imagine un ordinateur portable qui utiliserait Newton OS plutôt que Mac OS, décliné dans des coloris vifs comme le bleu Celestial, le vert Botanic, ou le violet Aquatic.
En s’exprimant à travers les matériaux et les couleurs, les designers d’Apple sont plus enclins à laisser la fonction suggérer la forme. Le tube cathodique dicte ainsi les courbes du boîtier du Power Mac G3 All-In-One, déjà translucide, comme le Studio Display présenté le mois d’avant, mais encore blanc. Vous n’avez jamais entendu parler de cette machine ? C’est normal : lancée en avril 1998, elle n’est jamais sortie des frontières américaines, ni même des salles de classe américaines, et a disparu huit mois plus tard.
On peut pourtant la considérer comme un prototype de l’iMac G3 : elle comportait encore des ports ADB et des lecteurs de disquettes (oui, des), mais elle possédait déjà un processeur PowerPC 750 à 233 MHz et un lecteur de CD. On peut même dire qu’elle avait tout d’une icône — les écoliers et les journalistes l’ont vite baptisé « molaire », rapport aux courbes suggestives et au blanc cassé, surnom affectueux qui valait bien la « bonbonnière » (l’iMac G3) ou la « palourde » (l’iBook G3).
Une autre machine aurait pu être commercialisée en avril 1998 : le Mac NC, pour network computer, un client léger sans disque dur à moins de 1 000 dollars. L’histoire commence cette fois en 1996, le 21 mai précisément, le jour où Oracle a présenté sa « plateforme d’ordinateur réseau » avec 30 partenaires parmi lesquels Apple. La firme de Cupertino utilise son système Pippin de boîtier multimédia connecté à internet, mi-console de jeu arrivée trop tard mi-set top box avant l’heure, comme ballon d’essai.
La Pippin sera victime, comme bien d’autres produits, de la grande restructuration de 1997, mais l’idée de la conception d’un produit autour de la connexion à internet fait son bonhomme de chemin. Et puis Steve Jobs, grand ami de Larry Ellison, fondateur d’Oracle et membre du conseil d’administration d’Apple, rêve tout haut d’un ordinateur réseau. Quatre mois après la date de commercialisation annoncée2 du Mac NC, c’est pourtant l’iMac qui sort.
L’iMac n’est donc pas tombé du ciel — mais l’iMac n’est pas le Mac NC, c’est-à-dire un rêve d’ingénieur, ni le Power Mac G3 AIO, c’est-à-dire une boîte beige réarrangée autour d’un tube cathodique. La différence ? La capacité à fédérer les forces vives d’Apple, à transcender les divisions internes pour former une vision, à combiner les technologies en leur donnant du sens. La machine connue sous le nom de code Elroy aurait pu s’appeler Macman ou Macster, mais s’est finalement bien appelé iMac, avec un « i » comme « internet ».
Une machine « pour le reste d’entre nous »
C’est une machine pour tous, à l’usage simplifié mais au prix modéré, conçue pour être connectée au web, extension de la logithèque native, et vue comme le centre d’un écosystème de périphériques, et pas seulement ceux créés par Apple et ses rares partenaires. Autrement dit, c’est un manifeste incarné dans un ordinateur, un successeur de l’ordinateur « pour le reste d’entre nous » en même temps que le premier d’une nouvelle lignée.
Une vision radicale qui est pourtant le fruit de nombreux compromis. L’iMac est bien le premier ordinateur utilisant exclusivement des ports USB, à une époque où l’on disait encore « Universal Serial Bus », mais il était clair que les interfaces ADB et SCSI — et de manière générale les anciennes interfaces série — avaient fait leur temps. À l’heure du plug and play et du hot swap, de la diversification des périphériques multimédia, mais aussi et surtout de l’ouverture du Mac sur le monde, l’USB s’est imposé comme un choix rationnel (même s’il a chagriné de nombreux utilisateurs « historiques »).
Pire : le Mac conçu pour internet a été présenté le 6 mai 1998… avec un modem V.34bis 33,6 kb/s ! Les utilisateurs ont montré les crocs, et le 15 août, l’iMac était commercialisé avec un modem V.90 56 kb/s. Une petite concession contre une grande, l’abandon du lecteur de disquettes, sur laquelle Apple n’est jamais revenue. La carte-mère de l’iMac G3 porte pourtant les traces d’un connecteur à 20 broches pour un tel lecteur, preuve que cette machine aurait pu être moins radicale.
Quelques accessoiristes ont d’ailleurs exploité ce connecteur, comme d’autres ont exploité le « port mezzanine », une interface PCI planquée sous la carte-mère, malgré l’interdiction formelle d’Apple. Les grands anciens se souviennent peut-être du Game Wizard, un accélérateur graphique doté d’une puce Voodoo2 vendu par Micro Conversions, ou des adaptateurs SCSI et du contrôleur RAID de Formac, dont l’installation demandait le démontage complet de la machine.
Car il suffisait d’un bon tournevis pour découvrir les composants que le capot transparent ne permettait pas d’apercevoir, comme le simple connecteur DB-15 reliant l’écran 15 pouces à la carte-mère, ou le chariot amovible comportant la plupart des composants. Une fois la machine ouverte et le chariot dégagé, les plus bricoleurs pouvaient ajouter une barrette SO-DIMM de mémoire SGRAM pour doubler voire tripler la quantité de mémoire attribuée à la puce graphique ATI Rage IIc.
Quitte à faire, ils pouvaient aussi remplacer la barrette SO-DIMM de 32 Mo de mémoire PC66 par une barrette de 128 Mo, et même en ajouter une deuxième de 256 Mo pour un total de 384 Mo. La mémoire et son contrôleur se trouvaient sur une carte-fille comportant aussi le processeur Motorola PowerPC 750, plus connu sous le nom de PowerPC G3, un processeur relativement puissant pour l’époque avec sa fréquence de 233 MHz et son bus système de 66 MHz.
Une machine emblématique et attachante
Ceux qui n’ont jamais connu rien d’autre que les ordinateurs portables aux composants soudés ne peuvent concevoir cette époque où l’on pouvait remplacer jusqu’au processeur. Sonnet, aujourd’hui spécialisé dans la conception de périphériques Thunderbolt, commercialisait ainsi des cartes-filles comme la carte Sonnet HARMONi G3. Lancée en 2002 au prix de 399 $, elle permettait de remplacer le G3 750 à 233 MHz par un G3 750cx à 600 MHz, et même d’ajouter un port FireWire 400 !
De fait, l’iMac a littéralement traversé les époques, avec des mises à jour et des bidouilles. Nombre d’utilisateurs ont remplacé le disque dur Seagate Medalist de 4,3 Go à 5 400 TPM par des modèles plus rapides et plus généreux3, ou le lecteur CD par un graveur. Cette machine livrée sous Mac OS 8.1 a pu recevoir toutes les mises à jour non pas seulement jusqu’à Mac OS 9.2.2, la dernière révision du Mac OS « classique », mais jusqu’à Mac OS X 10.3.9 (et même Mac OS X 10.5.8 avec XPostFacto après avoir changé le processeur).
Bien sûr, l’iMac a connu son lot de problèmes. Steve Jobs pouvait se dire « très fier » de l’écran 15 pouces, il n’en restait pas moins un écran à shadow mask de piètre qualité pour l’époque, dont le transformateur pouvait lâcher sans crier gare. Et puis si elle voulait favoriser l’adoption de l’USB, Apple aurait pu s’y prendre autrement qu’avec un clavier aux touches molles et une souris qualifiée par certains d’instrument de torture.
Malgré tout — et c’est qui compte au final — l’iMac a connu un succès qui l’a propulsé au rang de référence. Du 15 août au 31 décembre 1998, Apple a vendu un iMac « toutes les 15 secondes de chaque heure de chaque jour de chaque semaine », selon la formule célèbre de Steve Jobs. Dès le début des années 2000, des milliers de produits avaient adopté le plastique translucide et les couleurs acidulées, des radios-réveils aux téléphones en passant… par les grills George Foreman !
Une machine iconique
Apple s’est alors tourné vers le polycarbonate blanc, puis vers l’aluminium, en mettant l’accent sur la sobriété et le raffinement. Le « i » a fait de la résistance tout en perdant son sens : il nous a donné l’iPod et l’iSight, iChat et iLife, l’iPhone et l’iPad. Apple n’est plus une société revenue d’entre les morts, mais la société la plus riche du monde, qui n’hésite plus à marquer son empreinte. Ce n’est ainsi pas l’iWatch, ni même l’Apple Watch, mais l’ Watch.
L’iMac G3 aura connu une longue carrière : la Rev A d’août 1998 est rapidement remplacée par une Rev B en octobre, avec une puce graphique ATI Rage Pro et Mac OS 8.5. La Rev C de janvier 1999, aussi connue sous le nom de « Five Flavors », introduit cinq nouvelles couleurs vibrantes (Blueberry, Strawberry, Lime, Tangerine et Grape), mais fait disparaître le port mezzanine et le capteur infrarouge. En avril, la Rev D adopte un processeur à 333 MHz.
Le modèle devient une gamme en octobre 1999 avec l’institution du système Good/Better/Best qui dictera les configurations d’Apple pendant plus de dix ans. L’iMac est légèrement redessiné avec des plastiques plus transparents encore, adopte un lecteur CD « mange-disque » qui semble lui donner un sourire, et se pare d’un coloris graphite sur le modèle DV SE qui chapeaute la gamme. Avec son processeur à 350 voire 400 MHz et sa carte graphique ATI Rage 128 VR, son lecteur DVD et son port VGA, ses deux ports FireWire 400 et sa carte Wi-Fi optionnelle, c’est une petite station de travail.
À l’été 2000, Apple abandonne les couleurs acidulées et préinstalle Mac OS 9. Fini l’orange et le violet, place au bleu indigo et au rouge rubis, ainsi qu’un magnifique blanc neige sur le modèle 500 MHz. Fini aussi la souris ronde, place aux périphériques « pro » hérités du Power Mac. Dans le même temps, le modèle d’entrée de gamme tombe à 799 $ : il faudra attendre la présentation du Mac mini, quelques années plus tard, pour retrouver un modèle de série à un prix si bas.
Apple adopte les processeurs PowerPC G3 750CX, dont certains modèles atteignent 600 MHz, en février 2001. Le bleu indigo est consacré comme la couleur du modèle d’entrée de gamme, comme le graphite est associé aux modèles SE dotés des meilleurs composants. Apple expérimente alors avec des motifs mouchetés (Flower Power) et tachetés (Blue Dalmatian) qui ont, disons, marqué les esprits. Quelques mois avant la présentation de l’iPod, le slogan « Rip, mix, burn » fait son apparition avec les premiers graveurs CD.
Quatre petits mois plus tard, Apple présente ses modèles plus aboutis, en revenant à la triade indigo/graphite/neige. L’iMac G4 est présenté en janvier 2002, mais l’iMac G3 reste au catalogue jusqu’en mars 2003, pour maintenir une présence sous la barre des 1 300 $. Tour de force technique, le tournesol est entré au panthéon de l’informatique, mais n’a pas connu le même succès que son prédécesseur. L’iMac G3 rappelle toute une époque, célèbre le retour de Steve Jobs, montre une conception de l’informatique désormais oubliée. Une icône, assurément.
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Et pour cause : Steve Jobs avait proposé la direction du design d’Apple à Richard Sapper, le concepteur du ThinkPad, le fameux portable d’IBM que Jobs utilisait encore en 1997. C’est Hartmut Esslinger, le concepteur du langage visuel « Snow White », qui a finalement convaincu celui qui n’était encore que le CEO par intérim d’Apple de conserver l’équipe en place, « vraiment talentueuse et compétente à condition de l’encadrer correctement ». Lors de leur première rencontre, Steve Jobs a accueilli Jony Ive, qui avait préparé une lettre de démission, d’un « putain, vous n’avez pas été vraiment efficaces, n’est-ce pas ? ».↩
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Par Larry Ellison lui-même, qui parlait alors d’une machine dotée « d’un processeur à près de 300 MHz et d’un écran 17 pouces » pour moins de 1 000 $, selon Infoworld. Conçue comme un pur client léger devant se connecter à un serveur central, elle aurait été livrée sans disque dur, sauf à acheter un module supplémentaire à 100 $. Steve Jobs avait alors répondu, par e-mail, que « malheureusement [Ellison] est à côté de ses pompes. Il essaye peut-être de détourner l’attention de ce que nous faisons en réalité. » Et de fait…↩
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En prenant garde de ne pas dépasser 137 Go, la capacité maximale prise en charge par l’interface ATA-3 à 28 bits utilisée par Apple à l’époque, et d’ailleurs partagée par le disque et le lecteur CD.↩
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