Le Parlement européen entérinera prochainement le principe d’un port de recharge universel pour les smartphones, tablettes, casques, consoles… mais pas pour les voitures électriques. Entre les six normes de prises, les quatre modes de charge, et les dizaines de réseaux concurrents, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Chargemap ambitionne de résoudre le problème avec sa carte des bornes de recharge, son application pour aller de l’une à l’autre, et son « pass » pour payer. Entretien avec Yoann Nussbaumer, fondateur et CEO de Chargemap.
Comment vous est venue l’idée de ChargeMap ?
En 2008, j’ai découvert le Tesla Roadster, une superbe voiture de sport capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 s avec 350 à 400 km d’autonomie. Quand j’ai vu ça, je me suis dit qu’il allait se passer un truc autour des voitures électriques. J’ai créé le site Automobile propre, et bien sûr, j’ai acheté une voiture électrique. Je me suis posé les questions habituelles : comment vais-je la recharger ? Où est-ce que je peux trouver des stations ? Est-ce que je peux faire de longs trajets ? C’est à ce moment que j’ai eu l’idée de ChargeMap, d’abord sous la forme d’un site web, puis en 2011 sous la forme d’une application mobile.
Le recensement des stations de charge est un travail de longue haleine. Quels sont les défis de ce travail d’agrégation des données ?
Les utilisateurs peuvent référencer les nouvelles bornes dans l’application, ajouter des photos et des commentaires… Nous avons commencé comme ça, avec la communauté. Depuis 2016, nous travaillons aussi avec les opérateurs des réseaux de recharge pour récupérer automatiquement les informations, et même obtenir l’état en temps réel des infrastructures. Nous avons donc deux sources d’informations, d’une part la communauté, de manière plus artisanale, et d’autre part les opérateurs de réseau, de manière plus automatique.
D’une certaine manière, ChargeMap est un réseau social, ce qui pose la question de la modération.
Une équipe de trois personnes est chargée de vérifier les informations remontées par la communauté, de s’assurer de la qualité des données, et de le mettre en forme. C’est extrêmement important. Nous avons passé les deux ou trois dernières années à intégrer les informations des réseaux de recharge, mais nous voulons remettre en avant l’aspect communautaire, c’est ce qui fait l’ADN de l’application.
ChargeMap est réputée pour la précision de son estimation du niveau de charge au long d’un itinéraire. Quel est le secret ? Est-ce que les données générées par l’application sont remontées pour affiner le modèle ?
Nous avons passé beaucoup de temps à développer cet algorithme avec une petite équipe dédiée, nous travaillons sur cette formule presque quotidiennement. Les utilisateurs peuvent remplir un formulaire pour donner leur avis sur la précision de l’itinéraire, mais nous ne remontons pas encore les données comme nous le voudrions.
Nous modélisons toute la physique d’un véhicule qui roule : son poids, son coefficient de trainée (Cx), le coefficient de frottement de ses pneus… Nous savons que nous devons encore faire quelques ajustements sur certains véhicules, mais ces critères nous permettent d’estimer la consommation de manière plutôt précise. Le jour où nous rentrerons dans les véhicules, nous pourrons obtenir la consommation en direct.
Vous avez mis un pied dans l’habitacle avec CarPlay et Android Auto, mais les constructeurs maitrisent encore le tableau de bord. Tesla possède sa propre cartographie des stations et son propre système d’estimation, qui de facto concurrence celui de Chargemap, avec l’avantage d’une parfaite connaissance du véhicule. Comment vous positionnez-vous face aux constructeurs ?
Nous essayons de fournir une application qui accompagne le conducteur. J’aime bien dire que ce que fait Tesla est « facile » : ils se contentent de leur propre réseau ! Nous devons faire beaucoup plus de calculs pour prendre en compte toutes les bornes au long du trajet, mais nous pouvons proposer des trajets un peu différents. Nous venons ainsi de lancer une fonctionnalité qui permet de choisir ses réseaux préférés, ou à l’inverse d’exclure les réseaux que l’on préfèrerait éviter.
Le système de Tesla fonctionne très bien, je l’utilise régulièrement, mais il est très « grand public ». Nous nous différencions avec une approche plus spécialisée, nous essayons de proposer une expérience complète du moment où l’on cherche une borne jusqu’au moment où l’on reçoit sa facture après avoir rechargé sa voiture.
Vous avez une application iPhone et iPad d’une part, et une application Android d’autre part. Comment gérez-vous le développement de front sur deux écosystèmes différents ?
Au départ, nous gérions ces deux applications comme deux projets différents, avec un développeur par projet. Nous avons maintenant une base de code commune avec Kotlin Multiplatform, de nombreuses librairies sont partagées, mais l’interface est native pour chaque plateforme.
Pourtant, vous utilisez les cartes de Google plutôt que celles d’Apple, alors même que vous utilisez OpenStreetMaps sur votre site. Est-ce que c’est un choix technologique qui révèle les limites de MapKit, ou bien ?
Je vais répondre sans langue de bois : c’est un choix que nous avions fait tout au début, que nous n’avons jamais remis en cause dans les applications, même si nous avons abandonné Google Maps sur le web parce qu’il coute extrêmement cher. Les itinéraires utilisaient les calculs de Google Maps, cela nous coutait très cher, et nous ne pouvions pas faire ce que l’on fait aujourd’hui. Nous avons maintenant notre propre serveur de cartographie pour calculer les itinéraires et gérer les trajets. C’est aussi une manière de contrôler nos couts, ils ne peuvent pas continuer à croitre aussi rapidement que notre communauté.
Vous gérez deux plateformes applicatives, mais aussi un produit matériel, une carte qui permet de s’identifier auprès de toutes les bornes de recharge. Pourquoi ce Chargemap Pass prend-il la forme d’une carte physique ?
À mon grand regret, tous les lecteurs ne sont pas compatibles avec les passes Wallet. Cela dit, nous travaillons sur la possibilité de démarrer la charge depuis l’application, une fonction qui permettrait aussi de suivre la durée de la charge et la puissance délivrée. Nous aimerions aussi pouvoir suivre en direct le cout de la charge, pour être capable d’envoyer une alerte quand vous avez mis 30 € d’électricité dans la voiture par exemple.
La facturation de la charge, justement, revient souvent dans les conversations entre conducteurs de voitures électriques. Pourquoi est-on facturé à la minute de charge, un modèle qui ne prend pas en compte la diversité des puissances délivrées par les différents types de chargeur, et pas au kilowattheure, un modèle plus proche de la facture au litre de carburant ?
Nous connectons les réseaux de recharge pour permettre l’identification et le paiement, mais nous nous alignons sur leur grille tarifaire. Nous ajoutons une petite commission pour le service fourni, mais nous reprenons leur structure tarifaire, sauf dans certains cas plus fantaisistes. En France, la facturation au kilowattheure a longtemps été réservée aux fournisseurs d’électricité, donc tous les fournisseurs de bornes facturaient au temps. C’est en train de changer, et tous les utilisateurs réclament une facturation à l’énergie, je suis persuadé qu’on va y venir. À mon sens, le modèle d’avenir est celui qui est déjà pratiqué par Tesla, qui consiste à facturer l’énergie, en ajoutant des frais de réservation de l’emplacement une fois que la recharge est terminée, pour éviter que les bornes ne soient squattées.
Est-ce que le renchérissement du cout de l’énergie vous invite à proposer des stratégies de recharge différentes ?
Il y a de plus en plus de réseaux de recharge. Chargemap doit aider à comparer les offres, et le prix est évidemment un critère important.
Ce qui implique une tension avec tel ou tel réseau, qui est un partenaire quand il vous fournit des données, mais pourrait vous voir comme un concurrent si vous proposez des critères de tri qui le désavantagent systématiquement.
Nous sommes aujourd’hui le premier apporteur d’affaires des réseaux de recharge français. Nous voulons jouer notre rôle de plateforme, nous sommes aussi là pour les aider, pour les mettre en relation avec les conducteurs. Nous leur fournissons une interface pour consulter tous les commentaires de la communauté, et ainsi comprendre les problèmes qui pourraient toucher leurs réseaux, y compris les problèmes tarifaires.
Chargemap prend une petite commission sur la recharge, mais l’application est gratuite, et vous proposez de prendre en charge l’achat de garanties d’origine pour couvrir la totalité des recharges effectuées avec le Chargemap Pass avec des énergies vertes ! Comment fonctionne l’équation financière ?
Nous ne sommes pas encore rentables. (Rires.) Nous allons certainement arrêter la compensation, parce que beaucoup de réseaux ont intégré des dispositifs similaires. L’équation financière repose sur la vente des badges Chargemap Pass, la commission sur la recharge qui explose en même temps que notre nombre d’utilisateurs, et aussi notre offre de recharge des flottes d’entreprise. Tout cela grandit, et nous ne sommes plus très loin de l’équilibre.
Chargemap fait partie d’un groupe qui comprend plusieurs sites d’actualité, dont Automobile propre, ainsi qu’un distributeur de matériel de recharge, Mister EV. Comment est-ce que ces différentes propositions s’articulent les unes avec les autres ?
Il est important que chaque activité possède sa structure dédiée. Je ne crois pas que la rédaction d’Automobile propre parle anormalement souvent de Chargemap dans des termes particulièrement élogieux.
Mais l’expertise de la rédaction d’Automobile propre sert Chargemap…
Il y a effectivement un point commun entre toutes les sociétés, c’est notre base de véhicules électriques, dans laquelle Mister EV va puiser pour conseiller le matériel adapté, Automobile propre pour informer ses lecteurs, et Chargemap pour fournir des services à valeur ajoutée. Nous essayons de travailler de manière synergique, tout en faisant en sorte que chaque structure ait ses propres objectifs, et ne vienne pas perturber les autres.
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