Nos 100 plus grandes histoires d’amour LGBTQI+

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Le top 100 a été réalisé à partir des classements individuels de Philippe Azoury, Emily Barnett, Ludovic Béot, Iris Brey, Romain Burrel, Alexandre Büyükodabas, Clélia Cohen, Bruno Deruisseau, Marilou Duponchel, Hélène Frappat, Jacky Goldberg, Murielle Joudet, Thierry Jousse, Olivier Joyard, Marie Kirschen, Jean-Marc Lalanne, Gérard Lefort, Jean-Baptiste Morain, Léo Moser, Camille Nevers, Théo Ribeton.

1. My Own Private Idaho de Gus Van Sant (États-Unis, 1991). Avec River Phoenix, Keanu Reeves, Udo Kier
River Phoenix et Keanu Reeves
© Carlotta Films

Durant un voyage de l’Oregon à l’Idaho, Mikey et Scott s’arrêtent pour dormir à la belle étoile. Autour d’un feu de camp, ils échangent sur leur vie d’escort boys. Scott (Keanu Reeves) dit qu’il ne fait du sexe avec des hommes que pour l’argent, que deux gars ne peuvent pas s’aimer. Recroquevillé comme un chétif oisillon, Mikey (River Phoenix) dit qu’il ne sait pas, enfin si, il sait : là, par exemple, il aimerait embrasser Scott même s’il n’était pas payé. Et dans les circonvolutions d’une longue phrase, mots sitôt jetés sitôt avalés, il glisse : “I love you”, sans jamais cesser de fixer le feu, tête baissée, comme si après cet aveu, il redoutait désormais que le ciel s’effondre, que la terre craquelle et l’engloutisse. Scott encaisse la révélation. Puis lui ouvre ses bras, adjoint Mikey de s’y lover. Ils s’étreignent, le câlin est long et la scène se suspend. Dans le monde brutal de My Own Private Idaho, le réconfort est peut-être ce qui peut advenir de plus juste. Comme dans la plupart des films au sommet de ce top, le sentiment ici n’est jamais parfaitement symétrique.  L’amour fait mal, comme ailleurs. Mais peut-être un peu moins qu’ailleurs. Car la bienveillance et la douceur sont finalement plus fortes que la férocité du monde. Et la scène autour du feu de My Own Private Idaho demeure une des plus belles jamais filmées. Jean-Marc Lalanne

2. Mulholland Drive de David Lynch (États-Unis, 2001). Avec Naomi Watts, Laura Harring
Mulholland Drive
© 2001 STUDIOCANAL. All rights reserved.

À ce jour, l’un des plus beaux films au monde, par chance, est aussi la plus belle histoire d’amour entre deux femmes. Mulholland Drive ou le film par excellence du slow-burn lesbien, de la dévoration lente. S’il faut se mettre d’accord au moins sur une chose concernant un film où la multitude des discours adore s’égarer avec la clé (et le trousseau), c’est sur sa parfaite linéarité de drame amoureux. Début, milieu, fin: le trouble fou, la déclaration d’amour de Betty à Rita, charnelle et chuchotée dans l’effroi obscur d’un baiser, enfin le dernier acte de la tragédie, l’amour trahi et la mort au long surplomb. Grand film tragique, Mulholland Drive est en quelque façon le Vertigo des temps modernes, lesbien au bout du « conte », film dans lequel l’énigme est passée corps et biens du côté de qui regarde jusqu’au vertige: le voyeur n’est plus Scottie-Stewart mais, de l’autre côté du rideau, le spectateur lui-même, les spectatrices elles-mêmes, Betty, Rita, emprisonnées dans le grand mystère – de l’amour des femmes. Lynch a signé là son « film-émotion » (emotion picture, genre lynchien en soi) le plus violemment épris et lyrique. Betty et Rita se cramponnent l’une à l’autre, en boucle et pour toujours. Silencio résonne de l’écho murmuré : I love you. Camille Nevers

3. Bound de Lilly et Lana Wachowski (États-Unis, 1996). Avec Gina Gershon, Jennifer Tilly
Bound

Premier film des sœurs Wachowski, Bound complète notre podium. Huis clos ultra-stylisé se déployant entre deux appartements mitoyens, le film raconte la façon dont deux femmes éprises l’une de l’autre vont escroquer une bande de truands. Bound est une célébration empouvoirante de l’amour lesbien, de sa capacité à court-circuiter les plus bas instincts du patriarcat. La dernière et sublime réplique du film répond à la toute première scène, en détourne l’esthétique SM : le bounding serait ainsi non pas ce qui attache, nous entrave, mais ce qui nous relie. Bruno Deruisseau

4. Carol de Todd Haynes (Etats-Unis, 2015). Avec Cate Blanchett, Rooney Mara
Carol: Rooney Mara, Cate Blanchett
© Number 9 Films Ltd. / Wilson Webb

Dans le New-York des années 1950, Thérèse (Rooney Mara), petite employée d’un grand magasin rencontre Carol (Cate Blanchett), grande dame en manteau de fourrure et femme mariée. Un regard suffit pour les river l’une à l’autre. Treize ans après avoir ausculté le sexisme et le racisme d’une Amérique bourgeoise et réactionnaire dans Loin du Paradis, Todd Haynes réinvestit les codes du mélodrame Hollywoodien pour regarder l’homophobie. D’une extrême sophistication et d’un lyrisme enchanteur, Carol fait le récit du miracle de la rencontre amoureuse et donne corps avec une grâce et une émotion inouïe à l’incandescence d’un amour nouveau. Marilou Duponchel

5. Happy Together de Wong Kar-wai (Taïwan, 1997). Avec Leslie Cheung, Tony Leung

Avant et après Happy Together, le cinéma de Wong Kar-wai n’aura raconté que des histoires d’amour entre des hommes et des femmes. Pour ce que l’on en sait, lui-même a connu une vie sentimentale essentiellement straight. Est-ce, comme le suggérait dans une interview aux Inrocks son égérie Maggie Cheung, un signe de l’influence décisive sur le cinéma de WKW de son directeur artistique gay William Chang ? En tout cas, Happy Together est une des deux ou trois plus bouleversantes histoires d’amour entre deux hommes jamais racontées au cinéma. La chronique stridente d’une décomposition conjugale, jusqu’à la séparation. Le ballet désynchronisé d’élans amoureux toujours à contretemps. La poursuite forcenée d’une chimère : celle de la seconde chance, de l’effacement miraculeux de toutes les rancunes, toutes les névroses. “Et si on repartait à zéro ?”, y entend-on comme une litanie. Score final, zéro partout. Mais le match, frénétique et fougueux, était beau. J.-M.L.

6. Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Maria Fassbinder (Allemagne, 1972). Avec Margit Carstensen, Hanna Schygulla, Katrin Schaake
Hanna Schygulla
© Carlotta Films

La styliste réputée Petra Von Kant rencontre la jeune Karin et sa vie s’en trouve ravagée. Dans un huis clos quasi carcéral, des femmes-vampires dansent une ronde, prédatrices cernées par des mannequins-vitrines démantibulés. L’amour comme travestissement de la volonté de propriété, le désir de l’autre comme feinte à son propre désir d’anéantissement, le couple comme état privilégié de toute sorte de pathologie : ces larmes sont vraiment très amères. Fassbinder a adapté sa propre pièce pour en faire un de ses films les plus foudroyants. Laquelle est régulièrement adaptée au théâtre (en 2015 par Thierry de Peretti), hante le Sils Maria d’Olivier Assayas (la pièce dans le film est une version de Petra Von Kant qui ne dit pas son nom), et a donné lieu récemment à une version masculinisée par François Ozon, Peter Von Kant. J.-M.L

7. Je, tu, il, elle de Chantal Akerman (Belgique, 1976). Avec Chantal Akerman, Claire Wauthion, Niels Arestrup

Construit en trois parties, Je tu il elle retrace la trajectoire de Julie, une jeune femme interprétée par Akerman. Après une phase où elle se confine seule dans une chambre où elle mange du sucre tout en noircissant des pages de papier, et une partie passée avec un routier, Julie retrouve une jeune femme et fait l’amour avec elle. Akerman place la caméra à une distance qui permet de voir les corps en entier s’emboîter, se chercher et s’aimer, sans aucun voyeurisme. La séquence dure une douzaine de minutes. Akerman filme le sexe lesbien dans ce qui fait aussi sa spécificité : du sexe sans script, qui ne suit pas un modèle linéaire où l’acte sexuel aurait un début, un milieu et une fin. Ici, faire l’amour avec une femme est un geste qui s’étend et se diffuse, peut être jusqu’à l’infini. Iris Brey

8. La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (France, 2013). Avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux 
La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
© Alamode Film

Il suffit parfois d’un regard pour dépoussiérer le vieux monde dans lequel on s’enlise. Quand Adèle rencontre Emma, c’est deux univers qui s’enlacent et se cognent. Celui d’Adèle, lycéenne des classes pop’ en immersion au pays de l’hétérosexualité, et celui d’Emma, qui pratique l’art et les teintures bleutées dans les beaux quartiers. Sur trois heures, Kechiche filme la naissance et la mort d’un amour passionnel avec tout le dépouillement et la lucidité dont il est capable. À l’image de son héroïne mélancolique qui, à la fin, titube dans les rues au rythme de percussions éthérées, on ne peut sortir indemne de La Vie d’Adèle, film empli de soleil et de chagrin. Léon Cattan

9. L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie (France, 2013). Avec Pierre Deladonchamps, Patrick D’Assumçao, Christophe Paou
L'inconnu du lac: Christophe Paou, Pierre Deladonchamps
© Les Films du Losange

L’un des plus beaux films d’Alain Guiraudie raconte l’attirance d’un jeune homme, Franck, pour un autre homme qu’il sait être un tueur, Michel, puisque, alors qu’il était caché, il l’a vu tuer son propre amant. D’où naît le désir et l’amour parfois, sinon de la peur du danger, de l’attrait pour sa propre mort ? Renoirien, hitchcockien, hédoniste et cru, un thriller plein d’hommes nus, baigné de soleil, d’un soleil si violent qu’il éclaire tout d’une lumière de tragédie grecque. Jean-Baptiste Morain

10. Les Roseaux sauvages d’André Téchiné (France, 1995). Avec Stéphane Rideau, Gaël Morel, Elodie Bouchez
Les roseaux sauvages

Récit inspiré de la propre jeunesse de Téchiné, Les Roseaux sauvages raconte l’histoire de trois ami·es (joués par Stéphane Rideau, Gaël Morel, Elodie Bouchez, alors débutant·es) qui vont découvrir leur sexualité le temps d’un mariage, puis d’un été, au début des années 1960. Tendu, renoirien, l’un des films les plus libres de Téchiné, plein de grâce, de nervosité et de vigueur. J.-B.M.

11. Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (France, 2007). Avec Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme
Clotilde Hesme, Ludivine Sagnier et Louis Garrel
© Bac Films

Dans Les Chansons d’amour, des marins sortis de chez Jacques Demy se baladent dans les rues du quartier parisien de Strasbourg Saint-Denis, le même où vit la Angela d’Une femme est une femme de Jean-Luc Godard. Dans ce petit périmètre un trio amoureux est bientôt chaviré par la perte d’un de ses membres et l’arrivée d’un nouveau prétendant. En adorateur de ses idoles de cinéma, Christophe Honoré ressuscite (une nouvelle fois) la Nouvelle Vague, en dépoussière et réactualise les enjeux pour faire éclore, dans la déferlante d’émotions chantées par Alex Beaupain, le refoulé du Jules et Jim de François Truffaut : soit l’amour naissant entre deux garçons. M.D.

12. Un chant d’amour de Jean Genet (France, 1950). Avec Java, André Reybaz, Lucien Sénémaud

Unique film réalisé par Jean Genet à l’âge de quarante ans après plusieurs séjours derrière les barreaux et quelques chefs d’œuvres (Notre Dame des fleurs, Querelle de Brest), censuré puis montré sous le manteau, finalement sorti en 1975 soit un quart de siècle après sa réalisation, Un Chant d’amour reste un météore incandescent de l’histoire du cinéma. Où deux hommes, bientôt trois, s’exhibent, se regardent et se touchent dans les cellules d’une prison, entre les murs épais et les queues brandies. Entièrement fixé sur l’idée du fantasme des corps et de l’œil comme organe érotique, ce court-métrage muet a la puissance des premières fois, comme si Genet-cinéaste découvrait la force de ses visions en même temps que ses personnages comprenaient l’étendue de leur désir. Ici, il y a rarement correspondance entre celui qui regarde et l’objet regardé, car le sexe et l’amour bousculent toutes les lois de la représentation. Un choc caressant et excitant. Olivier Joyard

13. Douleur et Gloire de Pedro Almodóvar (Espagne, 2019). Avec Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia
Douleur et gloire: Leonardo Sbaraglia, Antonio Banderas
© El Deseo – Manolo Pavón

C’est un peu le Huit et demi du génie espagnol du cinéma contemporain : l’histoire d’un cinéaste dépressif et vieillissant (joué par un Antonio Banderas, incroyable) qui ne trouve plus l’inspiration. La guérison passera par un retour à l’enfance, mais aussi en réglant des épisodes sentimentaux qui étaient restés inachevés. L’un de plus beaux films d’Almodóvar qui lui permet, sous une apparence autobiographique, partagée entre tristesse et joie, d’évoquer les amours qui ont construit l’homme et l’artiste qu’il est devenu à près de 70 ans. J.-B.M.

14. Saint Laurent de Bertrand Bonello (France, 2014). Avec Gaspard Ulliel, Jérémie Regnier, Louis Garrel
Saint Laurent: Louis Garrel, Gaspard Ulliel
© 2014 MANDARIN CINEMA – EUROPACORP – ORANGE STUDIO – ARTE FRANCE CINEMA – SCOPE PICTURES / CAROLE BETHUEL

Face à l’amour durable, nécessaire comme dirait Beauvoir, sous forme de pacte quasi industriel, au-delà même du désir sexuel, que Saint-Laurent partage avec Pierre Bergé, le grand couturier vivra au cœur des années 1970 un amour dévorant, passionnel, noir, avec le dandy décadent Jacques de Bascher. La lente sensualité qui unit Ulliel à Garrel le temps d’un échange de drogue par un baiser toxique, raconte à elle seule le feu qui dévore l’artiste, et que seul l’amour de Bergé parviendra à maintenir en vie. Paul Courbin

15 Le Secret de Brokeback Mountain, d’Ang Lee (États-Unis, 2005). Avec Heath Ledger, Jake Gyllenhaal
Le Secret de Brokeback Mountain: Heath Ledger, Jake Gyllenhaal
© Pathé Distribution

Après un été miraculeux à Brokeback Mountain, durant lequel deux cow-boys accompagnant du bétail se découvrent passionnément attirés l’un par l’autre, chacun doit retourner à sa vie normée : Ennis et Jack se marient chacun de leur côté, puis se retrouvent, et fuguent ensemble chaque été afin de vivre par intermittence une histoire d’amour que tout interdit. Le désir brutal d’Ennis contraste avec la douceur réconfortante de Jack, dessinant deux trajectoires opposées qui condamnent cet amour mort-né à une fin irrémédiablement funeste. P.C.

16. 120 Battements par minute de Robin Campillo (France, 2017). Avec Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois
120 battements Par Minute: Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois
© Céline Nieszawer

Si le film de Robin Campillo nous a tant marqué, c’est en partie grâce à la capacité qu’à le film d’imprimer des affects et des partis pris de mises en scène très forts et contradictoires. 120 Battements par minute porte en lui le poids du deuil de la mort des malades du sida et l’incurie dont a fait preuve les pouvoirs publics, mais ce mausolée a aussi des airs de grand dancefloor. Parce qu’entre deux AG, les vivants s’ébrouent dans l’existence avec une vigueur folle. Ces AG d’Act Up, retranscrites dans un style presque documentaire, sont contrebalancées par des scènes beaucoup plus oniriques, comme une très belle scène d’amour entre deux des principaux personnages ou cette vision de la Seine en rouge sang. B.D.

17. M. Butterfly de David Cronenberg (États-Unis, 1993). Avec Jeremy Irons, John Lone, Barbara Sukowa
John Lone
© D.R.

Dans les années 1960, René Gallimard, un comptable travaillant à l’ambassade de France (Jérémy Irons), tombe sous le charme de Song Liling, une mystérieuse diva de l’opéra de Pékin, qui se révèle être une femme transgenre (John Lone). Le film retranscrit cette histoire d’amour avec une puissance et une incandescence rares. M. Butterfly est aussi très fort dans sa capacité à mettre en scène une forme d’intersectionnalité avant l’heure, en montrant en quoi la condition d’existence de Song se situe à un carrefour de domination raciste, coloniale, genrée, transphobe et sexiste. B.D.

18. Certaines femmes de Kelly Reichardt (États-Unis, 2016). Avec Kristen Stewart, Laura Dern, Michelle Williams
Certaines Femmes: Kristen Stewart
© Peripher Filmverleih

Chez Kelly Reichardt, la beauté surgit au détour du quotidien, aussi austère et morose soit-il. Dans la bourgade du Montana où se déroule Certaines Femmes, ses héroïnes sont bien loin d’être des créatures fantasmatiques ou idéalisées. Alors que Laura se démène dans son boulot d’avocate et que Gina est en pourparlers pour construire une maison, c’est l’amour qui transporte Jamie, même s’il n’est qu’à sens unique. Éprise d’une professeur de cours du soir interprétée par Kristen Stewart, Jamie s’entête et s’accroche avec la grâce d’un cow-boy. Et laisse une marque poétique indélébile sur l’œuvre de Kelly Reichardt. L.C.

19. Love is Strange d’Ira Sachs (États-Unis, 2014). Avec John Lithgow, Alfred Molina
Love Is Strange: Alfred Molina, John Lithgow
© Pretty Pictures

Love is Strange, c’est Place aux jeunes (1937) de Leo McCarey version gay : la séparation physique obligée, pour des raisons économiques, de deux époux vieillissants. Car après une liaison de près de quarante ans, George et Ben (Alfred Molina et John Lithgow, géniaux) ont décidé de se marier. Paradoxalement, cette union les plonge dans la précarité économique. Un mélo pudique, tendre et déchirant, baigné d’humour. J.-B.M.

20. Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (France, 2019). Avec Adèle Haenel, Noémie Merlant
Portrait de la jeune fille en feu: Noémie Merlant, Adèle Haenel
© Pyramide Distribution

Considéré comme un des instigateurs du female gaze en France, ce film d’époque brillamment mené par Céline Sciamma emprunte à La leçon de Piano de Jane Campion tout en s’émancipant des carcans patriarcaux. Sur une île reculée de Bretagne, des femmes s’aiment, jouent aux cartes, chantent et se soutiennent, telles des amazones en jupon. Marianne doit faire le portrait d’Héloïse pour le faire parvenir à son promis. C’est sans compter le charme indocile de son modèle, de qui elle va rapidement tomber sous le charme. Devenu un symbole des nouvelles luttes féministes, Portrait de la jeune fille en feu est une ode aux amours saphiques et sorores. L.C.

21. Victor Victoria de Blake Edwards (Etats-Unis, 1982). Avec Julie Andrews, James Garner, Robert Preston, Lesley Ann Warren
Julie Andrews
© D.R.

Marivaudages, postiches et mascarades dans le Paris gay des années 1930 : une chanteuse sans le sou (Julie Andrews), aidée par un présentateur de boîtes de nuit homo sur le retour, rencontre le succès en se faisant passer pour un comte polonais travesti en femme. Mais un gangster américain et producteur de spectacles n’apprécie guère d’avoir été troublé par un homme… Tout se complique car la chanteuse n’est pas insensible au charme du mafieux…. Mais comment révéler la vérité sans gâcher sa carrière ? Ici, toutes les identités sexuelles et de genre sont mouvantes. Une joyeuse comédie musicale (composée par Henry Mancini) libre, drôle et réjouissante. J.-B.M.

22. But I’m a Cheerleader de Jamie Babbit (États-Unis, 1999). Avec Natasha Lyonne, Michelle Williams, RuPaul

Plutôt snobé par la critique à sa sortie, le premier long-métrage de Jamie Babbit a, depuis, conquis le statut de “classique” du cinéma homo. Il est carrément le “meilleur film lesbien de tous les temps” selon le média queer Autostraddle. Il faut dire que ce film fauché a tous les bons ingrédients : deux actrices bien castées (l’excellente Natasha Lyonne d’Orange is the New Black, et Clea DuVall, qui a réalisé Happiest Season en 2020), un esprit camp affirmé, RuPaul en guest star… Derrière son pitch de comédie romantique cucul (une jeune femme envoyée dans un centre de “thérapie de conversion” tombe – bien évidemment – amoureuse d’une condisciple), le film arrive surtout à nous faire rire de l’homophobie. Un pari casse-gueule, mais réussi. Marie Kirschen

23. Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh (États-Unis, 2013). Avec Michael Douglas, Matt Damon 
Ma vie avec Liberace: Matt Damon, Michael Douglas
© DCM Filmverleih

Présenté comme le dernier film de Steven Soderbergh lors de son passage à Cannes en 2013 (avant que le cinéaste ne finisse par se dédire après seulement quatre ans), Ma vie avec Liberace est une étrange romance circulaire, ou plutôt en spirale. Un portrait de l’artiste en roi-soleil, autour duquel chacun se doit de graviter harmonieusement sous peine d’être éjecté de l’orbite. Monarque absolu en son royaume, le king of kitsch Liberace (Michael Douglas, dans son dernier grand rôle) y accueille un jeune ingénu (auquel Matt Damon prête la douceur de ses traits), qui va follement l’aimer et dont il va disposer comme d’un brave toutou. Cruel et néanmoins terriblement poignant. Jacky Goldberg

24. O Fantasma de João Pedro Rodrigues (Portugal, 2000). Avec Ricardo Meneses, Beatriz Torcato
Ricardo Meneses
© Epicentre Films

Le premier film de Joao Pedro Rodrigues raconte l’odyssée sexuelle insatiable d’un jeune éboueur gay lâché dans la nuit lisboète. Le fantasme du titre renvoie à une pratique animale du sexe. On le voit dès les premières scènes, le jeune éboueur n’embrasse ni ne sent ses partenaires, il les lèche, les mord, les renifle, leur aboie dessus ou grogne comme une chienne en chaleur. Ses étreintes relèvent plus de l’accouplement sauvage que de l’acte d’amour ou même de la baise. O Fantasma raconte une zoomorphisation, une métamorphose kafkaïenne en forme de parade nuptiale, de rut éblouissant et solitaire. B.D.

25. Mala Noche de Gus Van Sant (États-Unis, 1986). Avec Tim Streeter, Doug Cooeyate, Ray Monge
Doug Cooeyate et Tim Streeter
© MK2 Diffusion

Le premier long-métrage de Gus Van Sant, inspiré de l’œuvre d’un écrivain de Portland issu du mouvement beatnik, Walt Curtis. L’homme y raconte son histoire d’amour avec un jeune immigré clandestin venu du Mexique. Avec cette sentimentalité nonchalante qui n’appartient qu’à lui, cette sensualité et empathie extrêmes, Gus Van Sant filme un amour intéressé entre un jeune homme opprimé prêt à profiter de tout pour survivre et un homosexuel blanc, se sentant de manière épidermique du côté des opprimés, mais profitant de ses relatifs privilèges pour arriver à ses fins. Pourtant, en dépit de l’inégalité de l’échange et de l’instabilité de la situation, un peu d’amour et d’amitié circule. J.-M.L.

26. Les Amours imaginaires de Xavier Dolan (Canada, 2010). Avec Xavier Dolan, Niels Schneider, Monia Chokri
Les Amours Imaginaires: Xavier
        Dolan
© MK2 Diffusion

Le second film de Xavier Dolan raconte la façon dont deux amis, Francis (Xavier himself) et Marie (Monia Chokri) vont tous deux tomber amoureux de Nicolas (Niels Schneider), incarnation vivante du bel éphèbe. Les rapports de ce trio devenu inséparable vont passer par l’amitié, l’amour et la frustration dans un torrent émotionnel constant. Dans cette mise en scène incandescente du désir, le jeune cinéaste (il a tout juste 20 ans) mêle sa passion pour ses partenaires de jeu à celle qu’il voue au cinéma en citant quelques maîtres : Jean Cocteau, Gus Van Sant, Gregg Araki ou Wong Kar-wai. B.D.

27. Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré (France, 2018). Avec Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès
Plaire, aimer et courir vite: Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste
© Jean-Louis Fernandez / LFP – Les Films Pelléas – Gaumont – France 3

Prix Louis Delluc 2018, Plaire, aimer et courir vite est l’un des plus beaux films de Christophe Honoré. Le film se déroule en 1993 et raconte la rencontre d’une étudiant à Rennes (Vincent Lacoste) avec Jacques (Pierre Deladonchamps), un écrivain qui vit à Paris avec son fils. Ils se plaisent, s’aiment. Mais Jacques est séropositif et sait qu’il faut se dépêcher d’aimer avant de mourir. Un film enlevé, sans pathos, souvent drôle, férocement drôle et extrêmement bouleversant. J.-B.M.

28. Tropical Malady d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande, 2004). Avec Banlop Lomnoi, Sakda Kaewbuadee
Tropical Malady: Apichatpong Weerasethakul
© D.R.

Troisième long métrage de l’auteur palmé d’Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (2010), Tropical Malady s’organise en deux parties. La première est l’idylle entre un jeune campagnard, Tong, et un jeune militaire, Keng. Chaque plan diffuse un embrun aphrodisiaque, dédié à la félicité amoureuse et à l’état d’apesanteur de ceux qui s’aiment. Le quotidien le plus insignifiant donne lieu à un émerveillement permanent. Après ce rêve que constitue la première partie, la seconde est le cauchemar. Désormais Tong a disparu, un fauve déchaîné déchiquette les animaux domestiques. Keng s’arme et s’enfonce dans la jungle pour traquer le fauve. Qui est peut-être la réincarnation de son amant. Au rythme languissant de la promenade succède celui, tendu et moite, de la chasse. Tropical Malady figure avec une puissance stupéfiante l’amour comme puissance de mutation. L’amour fait muter ceux qui s’aiment. Le soldat devient une proie, le jeune homme candide, un monstre mythologique, l’attirance sexuelle, un désir de dévoration. La maladie tropicale, qui dérègle les organismes et les rend fous, c’est ce sentiment instable, offensif, furieux : l’amour. J.-M.L.

29. Lianna de John Sayles (États-Unis, 1983). Avec Linda Griffiths, Jane Hallaren
Lianna
© Winwood Productions

Lianna (Linda Griffiths), femme mariée et mère de deux enfants, décide de reprendre ses études et tombe amoureuse de sa professeure de psychologie, Ruth (Jane Hallaren). À une époque où les histoires d’amour lesbiennes ont peu leur place sur les écrans, John Sayles balaye toute suspicion du film à sujet fleurant bon le scandale ou l’érotisme libidineux. Le cinéaste américain regarde cette rencontre amoureuse comme une limpide et irrésistible attraction joyeuse et sensuelle sans idéalisme aucun, mais au contraire en se concentrant, aussi, sur l’après et les conséquences (misogynie, sexisme) liées à cette nouvelle vie. M.D.

30. Mysterious Skin de Gregg Araki (États-Unis, 2004). Avec Joseph Gordon-Levitt, Brady Corbet
Brady Corbet, Michelle Trachtenberg et Joseph Gordon-Levitt
© D.R.

La question s’est posée de mettre ou pas Mysterious Skin dans ce top, tant l’époque est à la réexamination de la façon dont nous avons romantisé certaines relations en occultant la part de violence et d’abus qu’elles impliquent. Mysterious Skin est à ce titre plus que jamais pertinent car le film parvient à raconter la relation pédocriminelle qui lie deux petits garçons et leur entraîneur de baseball, tout en ne faisant pas l’économie des graves traumatismes qu’elle a suscités chez eux. Le film est aussi une double trajectoire de cicatrisation, d’un côté par le retour du refoulé et de l’autre par la découverte d’un amour exempt de domination. B.D.

31. My Beautiful Laundrette de Stephen Frears (Royaume-Uni, 1985). Avec Daniel Day-Lewis, Richard Graham
Daniel Day-Lewis et Gordon Warnecke
© D.R.

Une histoire du racisme et de l’homosexualité sous le gouvernement rigoriste de Thatcher, à travers les retrouvailles entre un jeune Pakistanais rêvant d’ouvrir une laverie et un ancien camarade devenu skinhead d’extrême droite. Lorsque Johnny prend en embuscade le jeune Omar, les deux se reconnaissent et entament une histoire d’amour secrète que leurs milieux respectifs bannissent : le film de Stephen Frears radiographie les conflits qui animent les années 1980 en Angleterre, tout en y incluant un espoir, que la séquence finale sous forme de bataille d’eau amicale entre les deux amants vient concrétiser. P.C.

32. Passion de Brian De Palma (Allemagne, France, 2012). Avec Rachel McAdams, Noomi Rapace
Rachel McAdams & Noomi Rapace
© ARP Sélection

Passion est un film totalement pervers, l’adaptation officielle d’un film d’Alain Corneau (!), Crime d’amour, lui-même remake caché de L’Invraisemblable Vérité de Fritz Lang. On y perdrait ses petits. Le principe est toujours le même : un individu exécute un meurtre, se fait passer pour le coupable. Mais les preuves de sa culpabilité vont lui servir à se faire innocenter, et vice versa… Le tout à la sauce baroque, crypto-hitchcockienne de De Palma, ici en pleine forme, avec un goût prononcé, manifestement jouissif chez le cinéaste, pour l’ambivalence des signes et la bisexualité des êtres, notamment des femmes. Attention, ce n’est pas un film tiède pour les tièdes. Splendide ! J.-B.M.

33. Call Me By Your Name de Luca Guadagnino (États-Unis, Italie, 2017). Avec Timothée Chalamet, Armie Hammer
Call Me By Your Name: Armie
        Hammer
© Sony Pictures

L’été de ses 17 ans est pour Elio, fils d’intellectuels multilingues séjournant quelques mois en Italie, celui de l’éveil sexuel, qu’il expérimentera avec une amie d’enfance, une pêche bien mûre, ainsi qu’un thésard américain aux manières vulgaires. Si le film est relativement pudique, la séquence qui donne son nom au titre est probablement la plus érotique et dit toute la dimension ludique et romantique de l’amour entre les deux hommes : cette interversion des prénoms, où chacun parle à l’autre comme s’il se parlait à lui-même, incarne la plus douce fusion d’êtres pour qui cet été magique sera le seul. P.C.

34. Go Fish de Rose Troche (États-Unis, 1994). Avec Rose Troche, Guinevere Turner
Go Fish

Il faut attendre la toute fin du premier long métrage en noir et blanc de Rose Troche pour que ses deux héroïnes Ely et Max fassent l’amour après des mois à se tourner autour. Les deux jeunes femmes racontent à leurs amies respectives leur rapport sexuel (qui commence par un coupage d’ongles) ; leurs narrations s’entrecoupent d’un montage rapide de gros plans sur des mains, sur un dos, des langues qui se rencontrent, des cuisses qui s’enchevêtrent. Le générique du film se poursuit en s’entrecoupant à son tour de plans d’autres corps lesbiens s’aimant. Go Fish a réussi à mettre en scène la joie du sexe lesbien et aussi la joie de pouvoir partager ses expériences dans sa communauté. I.B.

35. I Love You Phillip Morris de Glenn Ficarra et John Requa (États-Unis, 2009). Avec Jim Carrey, Ewan McGregor 
Ewan McGregor et Jim Carrey
© EuropaCorp Distribution

Qu’y a-t-il derrière le masque de Jim Carrey ? D’autres masques, à l’infini, répondaient (brillamment) John Requa et Glenn Ficarra dans leur premier long-métrage, en 2010. I Love You Phillip Morris figure l’acteur au visage protéiforme en escroc sincère – un personnage qui passe son temps à se faufiler comme une anguille mais trouve dans le mensonge permanent une forme de vérité intérieure. Et surtout de dévouement à l’homme de sa vie, le Philip Morris éponyme (Ewan McGregor, dans l’un de ses rôles les plus émouvants), pour l’amour duquel il est prêt à toutes les contorsions. C’est l’histoire d’un amour finalement démasqué. J.G.

36. Homme au bain de Christophe Honoré (France, 2010). Avec François Sagat, Omar Ben Sellem, Chiara Mastroianni
Homme au bain
© Alive – Vertrieb und Marketing

Homme au bain est plus un film de désamour que l’inverse, tant il est le récit de la double cicatrisation amoureuse que vivent chacun de leur côté deux anciens amants. Quand l’un vit une rupture dissolue, l’autre reconstruit sa vie avec sagesse. Mais plus le film avance, plus Honoré brouille cette ligne de partage entre les effets escomptés ou non de ces deux deuils amoureux opposés. Homme au bain finit alors par dévoiler son vrai sujet, qui est précisément les effets du dévoilement, de la mise à nu d’un corps au moment du rapport sexuel, de la charge sentimentale qu’il porte. Et quel corps, puisqu’il s’agit en l’occurrence de celui du hardeur François Sagat, bouleversante révélation du film. B.D.

37. Dans la peau d’une blonde de Blake Edwards (États-Unis, 1991). Avec Ellen Barkin, Jimmy Smits, Perry King
Ellen Barkin et JoBeth Williams
© D.R.

L’autre Victor Victoria de Blake Edwards, sur le mode mineur (mais sur un mode majeur gay) avec lequel il forme un génial diptyque, il s’agit d’un lointain remake, comme son aîné l’était d’un film allemand, de Turnabout (Changeons de sexe, 1940), film de Hal Roach, grand producteur du burlesque muet – lieu par excellence du camp pré-code –, dont des Laurel et Hardy. Switch ou, comme son titre l’indique, l’inversion prise au pied de la lettre. On intervertit un macho de la pire espèce en une blonde incendiaire par l’opération du Saint-Esprit (hermaphrodite) et on regarde, fort de cette expérience, ce qu’il se passe au niveau des valeurs et des “genres”. En toute logique, le macho devient lesbienne, puis féministe, puis gay, puis maman. Avec l’immense Ellen Barkin, tout·es à la fois, la plus inclusive d’entre nous. C.N.

38. Presque rien de Sébastien Lifshitz (France, 2000). Avec Jérémie Elkaïm, Stéphane Rideau

Avant qu’il ne se spécialise dans la réalisation de documentaires célébrant la diversité des façons de vivre son genre, Sébastien Lifshitz a réalisé plusieurs films de fiction, dont le très beau Presque rien. Avançant simultanément sur deux temporalités opposées (l’une amoureuse, insouciante et estivale et l’autre endeuillée, solitaire et hivernale), il raconte l’histoire d’amour entre deux ados qui se rencontrent en vacances sur une plage de Pornichet. Outre son excellente idée de montage, le film vaut aussi pour la beauté de son couple d’interprètes, Jérémie Elkaïm et Stéphane Rideau. B.D.

39. Week-end d’Andrew Haigh (Royaume-Uni, 2011). Avec Tom Cullen, Chris New
Week-end

Deux garçons se rencontrent en club, se draguent, couchent ensemble. A priori rien d’exceptionnel dans ce scénario. Mais à travers les quelques heures de ce week-end que les protagonistes vont passer l’un avec l’autre, Andrew Haigh (Looking) arrive à nous faire assister à la naissance d’un amour. Un film sensible et incroyablement émouvant. M.K.

40. Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez (France, 2018). Avec Vanessa Paradis, Nicolas Maury, Kate Moran
Un Couteau Dans le Coeur: Vanessa Paradis, Kate Moran
© Memento Films Distribution

C’est dans un écrin queer et saturé que Yann Gonzalez place les amantes maudites d’Un couteau dans le cœur. Anne, réalisatrice de porno gay, doit faire face aux décès de ses acteurs, sauvagement assassinés les uns après les autres. Un drame, et pourtant, il paraît presque secondaire, car Loïs, qu’elle aime plus que tout, a “le cœur sec d’elle” comme elle le dit au téléphone dès le début du film. Alors qu’Anne plonge tout entière dans le monde de la nuit à la recherche de réponses, un jeu du chat et de la souris s’initie entre les deux femmes. Plus endiablé et brûlant que jamais, Un couteau dans le cœur dépeint un amour aussi vicié que pur au seuil des années 1980. L.C.

41. Encore (once more) de Paul Vecchiali (France, 1988). Avec Jean-Louis Rolland, Florence Giorgetti, Patrick Raynal
Encore
© Shellac

Pari formel et sexuel, Encore, sorti en 1988, est sans doute le grand film de l’ère sida. En dix plans-séquences d’une folle virtuosité, Paul Vecchiali concentre toute son attention sur un homme, Louis, qui quitte sa femme, Sybèle, pour vivre enfin son homosexualité au grand jour. Après quelques relations sans lendemain, Louis va tomber éperdument amoureux de Frantz, avant d’être rattrapé par le mortel virus. Animé par une forme d’urgence qui n’exclut pas une authentique élégance, Encore est un inoubliable film d’amour et de mort qu’il faut redécouvrir toutes affaires cessantes. Thierry Jousse

42. San Junipero (Black Mirror, S3E4) d’Owen Harris (États-Unis, 2016). Avec Gugu Mbatha-Raw, Mackenzie Davis

San Junipero est un petit miracle dans le cadre de la série Black Mirror. Cet épisode de la saison 3 échappe absolument à la tonalité cynique et sarcastique propre à la série. Et la technologie y est l’instrument d’une émancipation des minorités, affranchies à la fois des normes de la société et de la biologie. Ainsi, nos deux héroïnes amoureuses pourront s’aimer à jamais, au-delà de leur vie réelle, au-delà de leur mort, dans un lieu magique où leur conscience sera conservée. Eternellement jeunes, éternellement ensemble, éternellement dans les années 1980. Comme le répète à l’envi dans l’épisode la chanteuse de soft rock Belinda Carlisle : “Heaven is a place on Earth.” J.-M.L.

43. Silverlake Life: The View From Here de Peter Friedman et Tom Joslin (États-Unis, 1993)

En 1993, alors que l’épidémie du sida décime la communauté homosexuelle, Tom Joslin et Mark Massi, un couple séropositif vivant ensemble depuis plus de 20 ans, décident de faire un journal vidéo pour montrer l’impact de la maladie sur leur vie quotidienne. Caméra au poing, installée au plus proche de leur intimité, le film alterne entre des moments de joie, de rires et de doutes, jusqu’à ce que la maladie s’accélère et que la mort survienne avec une rapidité effroyable. Document essentiel sur la représentation du corps malade, Silverlake Life: The View From Here est une chronique aussi difficile que sublime. Au-delà du témoignage sur la dégénérescence physique, c’est un grand film d’amour qui immortalise ce couple digne et exemplaire tout en mettant au travail la tâche difficile du survivant devant continuer à filmer l’insoutenable pour garder une empreinte, coûte que coûte. Ludovic Béot

44. A Single Man de Tom Ford (États-Unis, 2009). Avec Colin Firth, Julianne Moore, Matthew Goode
Jon Kortajarena
© Mars Distribution

Premier film du glamoureux créateur de mode Tom Ford, porté par son brillant acteur principal Colin Firth (qui remporta la Coupe Volpi à la Mostra pour ce rôle), A Single Man est l’adaptation d’un roman de Christopher Isherwood, l’histoire d’un homme qui ne parvient pas à faire le deuil de l’homme qu’il aimait et qui a décidé de mettre fin à ses jours. Un film dépressif, qui sous son ripolinage de façade, son côté publicitaire, s’avère être un film tragique et sincère, profondément humaniste. A Single Man est une réussite parce que son réalisateur prend son sujet au sérieux, qu’il ne s’en écarte pas. Un film plein, direct, sans finasseries, sans distraction, stoïcien. J.-B.M.

45. La Loi du désir de Pedro Almodóvar (Espagne, 1991). Avec Antonio Banderas, Eusebio Poncela, Carmen Maura
Carmen Maura, Antonio Banderas et Eusebio Poncela
© D.R.

Comme souvent dans les films d’Almodóvar, La Loi du désir part dans tous les sens, tout en n’obéissant qu’à l’énoncé de son titre. On y suit Pablo, un cinéaste au sommet de la vague, qui profite de sa notoriété pour draguer tout ce qui bouge, à commencer par Antonio (Banderas) qui se laisse séduire puis devient fou amoureux de Pablo, si fou qu’il ne supporte pas que le cinéaste voie d’autres garçons que lui. Ping-pong de plus en plus effréné autour du désir, le film vaut aussi pour l’un des plus beaux personnages secondaires de la filmographie d’Almodóvar : la personnage de femme trans joué par Carmen Maura. B.D.

46. Naissance des pieuvres de Céline Sciamma (France, 2007). Avec Pauline Acquart, Adèle Haenel, Louise Blachère
Louise Blachère, Pauline Acquart et Adèle Haenel
© Haut et Court

Basé sur le scénario qu’elle a écrit en dernière année à la Fémis, Naissance des pieuvres est le premier film de Céline Sciamma. Elle y raconte la découverte de l’amour de trois adolescentes, dont deux sont éprises l’une de l’autre. Porté par une musique composée par Para One, Naissance des pieuvres suit avec une acuité rare le balbutiement du désir lesbien et marque aussi le début d’une collaboration artistique qui se prolongera douze ans plus tard avec Portrait de la jeune fille en feu. B.D.

47. Hustler White de Bruce LaBruce et Rick Castro (États-Unis, 1996). Avec Bruce LaBruce, Tony Ward

Le cinéma tendance gonzo et trash de Bruce LaBruce trouve son incarnation la plus réussie dans ce film centré autour de la fascination érotique délirante que déclenche un gigolo (sublime Tony Ward) sur un anthropologue venu étudier les soubassements d’Hollywood. Déambulation hallucinée à mi-chemin entre le soft porn, le docu improvisé et la comédie potache, Hustler White est une sorte de Querelle low budget croisée avec une version déjantée de Sunset Boulevard. B.D.

48. La Mauvaise Éducation de Pedro Almodóvar (Espagne, 2004). Avec Gael García Bernal, Fele Martínez
Raul Garcia Forneiro et Nacho Perez
© Pathé Distribution

Sous le franquisme, deux jeunes garçons découvrent l’amour, le cinéma et la peur en même temps, dans une école religieuse où le père Manolo profite d’eux… Ils vont se revoir à dix années d’intervalle, avec des conséquences différentes pour chacun d’eux. La Mauvaise Éducation est peut-être le film le plus difficile, le moins aimable, le plus dérangeant de tous les films d’Almodóvar, puisqu’il y est question à la fois d’homosexualité et de pédophilie, sans que le film ne confonde évidemment les deux. Pour filmer traumatismes et plaisirs ambivalents, le film dessine, par un aller-retour constant entre passé et présent, réel et imaginaire, à la fois vertigineux et angoissant, sans solution. Le film se clôt par un petit mot qui grandit jusqu’à envahir tout l’écran : “passion” – qui comme chacun sait désigne à la fois la souffrance et l’amour fou. J.-B.M.

49. Les Prédateurs de Tony Scott (Royaume-Uni, États-Unis, 1983). Avec Catherine Deneuve, David Bowie, Susan Sarandon

Adaptation du roman éponyme de Whitley Strieber, Les Prédateurs, tout premier film de Tony Scott, est l’un des plus beaux films de vampire jamais réalisés. Ils sont incarnés par le couple ultra-glamour composé par David Bowie et Catherine Deneuve, tous deux au sommet de leur beauté et incarnation d’une sexualité fluide avant l’heure. Alors que des recherches scientifiques tentent de percer le mystère de l’immortalité, le vampire joué par le roi de la pop est rattrapé par le temps et sa compagne, cherchant alors une nouvelle partenaire, jette son dévolu sur une séduisante docteur (Susan Sarandon). B.D.

50. Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette (France, 1974). Avec Juliet Berto, Dominique Labourier, Bulle Ogier

Tout le cinéma de Rivette flirte avec la tentation de repeupler le monde de personnages entièrement féminins. Dans ces mondes à la démographie majoritairement féminine, toutes les nuances du sentiment se déploient, de la violence du harcèlement sexuel (La Religieuse) à la plus ambivalente des tendresses (La Bande des quatre), de la rivalité guerrière (Duelle) à la sororité infaillible. La sororité infaillible, c’est Céline et Julie vont en bateau, une des plus belles histoires d’amour et d’amitié jamais filmées. Où comment un tandem de filles qui déminent à coup de bonbons hallucinogènes une cellule hétéro-patriarcale infanticide et polygame. J.-M.L.

51. Les Invisibles de Sébastien Lifshitz (France, 2012).
Les Invisibles
© Ad Vitam

Un beau récit documentaire de trajets de vie d’hommes et de femmes gays d’âge mûr. Après Presque rien, Wild Side, avant Bambi et Petite fille, Lifshitz réalise un film majeur, salutaire et poignant, une étape importante dans l’histoire du cinéma de l’histoire LGBTQI+. Lifshitz revient au documentaire en s’intéressant aux personnes que l’on ne veut pas montrer, des hommes et des femmes homosexuel·les, né·es entre les deux guerres. Oublié·es par la génération sida des années 1980, celleux qui, pour certain·es, ont amorcé les luttes avec le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) dans les années 1970 ou ont survécu au tsunami du virus, sont aujourd’hui âgé·es, invisibilisé·es. Certain·es y parlent des difficultés à vivre leur homosexualité à une époque où l’OMS la considérait comme une maladie mentale et avant que François Mitterrand ne la dépénalise. La sortie du film coïncida avec le débat sur le mariage pour tous et fit office d’acte salvateur. J.-B.M.

52. Philadelphia de Jonathan Demme (États-Unis, 1993). Avec Tom Hanks, Antonio Banderas

Alors qu’il travaille d’arrache-pied dans une firme très prestigieuse, l’avocat Andrew Beckett est renvoyé du jour au lendemain : nous sommes au début des années 1990 et Andrew est atteint du virus du sida. S’ensuit un procès retentissant au cours duquel il tente de prouver, à mesure que la maladie le ronge et l’amaigrit, le défigure, l’emporte, que son licenciement est dû à sa maladie. Le combat d’un homme contre l’inéluctable coïncide avec celui contre l’homophobie et la marginalisation des malades, faisant presque oublier l’histoire d’amour qui sert de fondement à cette lutte acharnée. Celle qui lie Andrew à son amant Miguel, interprété par Antonio Banderas, et qui l’accompagnera amoureusement jusqu’au bout. P.C.

53. Quand on a 17 ans d’André Téchiné (France, 2016). Avec Kacey Mottet-Klein, Corentin Fila, Sandrine Kiberlain
Quand on a 17 ans: Kacey Mottet Klein, Corentin Fila
© Roger Arpajou

Coécrit avec Céline Sciamma et soutenu par le regard maternel de Sandrine Kiberlain, le film explore la haine que se portent deux lycéens et les élans violents qui les poussent irrémédiablement l’un contre l’autre. De la violence naît un sentiment amoureux contrarié, un désir frustré, que leur cohabitation forcée vient accélérer puis dénuder. Dans ce décor de montagne rude et immaculé, le printemps vient balayer l’agressivité entre les deux garçons : une histoire d’amour qui finit bien, racontée par André Téchiné, cinéaste de l’homosexualité pudique et délicat. P.C.

54. Sauvage de Camille Vidal-Naquet (France, 2018). Avec Félix Maritaud, Éric Bernard
Sauvage: Eric Bernard, Félix Maritaud
© Salzgeber & Co. Medien GmbH

Pour Léo, jeune prostitué de 22 ans, les nuits sont longues et sans autre horizon que la défonce et l’impossibilité de l’amour. Lorsqu’il rencontre Ahd, un autre prostitué qui se dit hétéro, Léo voit en son protecteur un avenir possible : de désillusions en rencontres dangereuses, Léo s’enfonce dans une nuit sans étoile, jusqu’à ce qu’un client devienne son sauveur et le sorte de son cauchemar. Mais le titre du film rattrape le jeune héros, qui préférera s’échapper du cadre normé qui s’offre à lui, pour retrouver son instinct le plus naturel. P.C.

55. Le droit du plus fort de Rainer Maria Fassbinder (Allemagne, 1975). Avec Rainer Maria Fassbinder, Peter Chatel, Karlheinz Böhm
Rainer Werner Fassbinder

En 1975, R. W. Fassbinder se met en scène dans le rôle de Fox, jeune traîne-savate qui gagne le gros lot à la loterie. Fox croit doubler sa chance en se toquant d’Eugen (génial Peter Chatel), fils d’industriels et vipère inhumaine qui lui piquera ses sous avant de le laisser pour mort. La morale politique est implacable : les rapports de classes sont plus fort que les rapports sexuels. En second rôle notable : Karlheinz Böhm, ex François-Joseph des Sissi, enfin sorti du placard. Gérard Lefort

56. Violence et passion de Luchino Visconti (Italie, France, 1974). Avec Burt Lancaster, Helmut Berger

Un vieux professeur (Burt Lancaster, toujours impressionnant chez Visconti) vit retiré du monde, au milieu de ses livres et de ses œuvres d’art, dans une belle demeure romaine, et n’aspire plus qu’à la quiétude et à la solitude. Mais une marquise (Silvana Mangano) débarque un jour, qui a décidé d’elle-même qu’il allait lui louer le deuxième étage de sa maison pour sa fille. Elles sont accompagnées d’un jeune gigolo (Helmut Berger) et le professeur tombe sous son charme. Malgré la vulgarité de ces intrus, qui incarnent tout ce qu’il déteste, le professeur croit pouvoir “sauver” ce jeune homme. L’avant-dernier film de Visconti, déjà très malade, est une sorte de huis clos très éloigné de ses grandes fresques historiques. Derrière son apparente modestie, Violence et passion est pourtant totalement déchirant, la confession funèbre, désabusée, d’un vieil homme homosexuel, qui s’éprend pour la dernière fois d’un jeune homme qui ne le mérite sans doute pas. J.-B.M.

57. Moonlight de Barry Jenkins (États-Unis, 2016). Avec Trevante Rhodes, André Holland, Mahershala Ali
Moonlight: Alex R. Hibbert
© David Bornfriend

L’histoire d’amour manquée, sur plus de 20 ans, entre deux jeunes Africains-Américains de Miami. Chiron, harcelé et maltraité par sa famille et ses camarades de classe, tombe secrètement amoureux de Kevin, un garçon qu’il recroisera à l’adolescence puis à l’âge adulte. Dans ce récit de libération, tant des codes oppressifs imposés à la masculinité que des démons familiaux qui nous hantent et que la précarité et les substances illicites redoublent, Barry Jenkins nous montre comment la tristesse d’un amour jamais vécu pleinement peut aboutir à une forme d’éclosion. P.C.

58. Beau travail de Claire Denis (France, 1999). Avec Denis Lavant, Michel Subor, Grégoire Colin

De Beau Travail, on retiendra une image : les corps bandés de soldats de la Légion étrangère cuisant sous le cagnard du désert de Djibouti, ces mêmes corps excités par l’exercice militaire jusqu’à ce que l’ardeur militaire se change en trouble érotique. Du corps-à-corps guerrier à l’étreinte il n’y a qu’un doigt, mais c’est précisément ce doigt que le commandant Galoup (Denis Lavent) n’ose pas lever. Il passe le film à refouler jusqu’à la mort son désir pour la nouvelle recrue Sentain (Grégoire Colin). Et le film s’emploie à prolonger la violence contenue de cet empêchement, sans jamais en franchir la ligne rouge. B.D.

59. J. Edgar, de Clint Eastwood (États-Unis, 2011). Avec Leonardo DiCaprio, Armie Hammer, Naomi Watts
J. Edgar
© Warner Bros. France

Du fondateur du FBI, Eastwood aurait pu tirer un biopic historique plongé dans les entrailles du XXe siècle et de l’État profond. J. Edgar l’est assurément – mais seulement après être un film sur ce qu’Eastwood envisage comme la donnée la plus essentielle de la psyché de Hoover. À savoir ce que le refoulement fait à un homme, qui le fera payer à un pays, bâtissant une société fondée sur les secrets dont la révélation pourrait tout coûter à chacun. Naufragé aux portes du placard, bouleversant, son conseiller et “ami” (Armie Hammer), qui dira toute sa vie “I love you” sans rien entendre en retour. Théo Ribeton

60. La Chatte à deux têtes de Jacques Nolot (France, 2002). Avec Vittoria Scognamiglio, Jacques Nolot, Sébastien Viala
La Chatte à deux têtes: Jacques Nolot
© D.R.

Dans un vieux cinéma porno, le sexe se transforme en théâtre. Travestis errant de rangs en rangs, spectateurs exclusivement masculins refoulant tout le spectre de leurs désirs, toujours à espérer que quelque chose de ce qui est projeté sur l’écran rejaillisse dans le noir de la salle, libertin aguerri goûtant un à un les plaisirs de chacune des pièces se jouant sous ses yeux, prévoyant une petit pécule pour remercier un tel, un mouchoir pour le reste, projectionniste provincial, hétéro comme il se doit, ouvreuse désabusée : en une heure trente intersidérales, Jacques Nolot raconte le peuple qui vient. Qui vient dans la bouche, qui vient dans la main. Philippe Azoury

61. Blow Job d’Andy Warhol (États-Unis, 1964). Avec DeVeren Bookwalter

Filmé en 16 mm, le visage de l’acteur DeVeren Bookwalter passe, en 30 minutes, par tous les états : volupté, jouissance, ennui. Et comme une indéchiffrable œuvre d’art abstraite, il faut s’en référer au titre pour comprendre : Blow Job. Sous son apparente simplicité, le film de Warhol se prête à toutes les exégèses : certains y voient un commentaire sur le désir homosexuel cantonné à se vivre hors-champ (ou dans un frêle et invisible film underground). D’autres – comme le critique d’art Alain Cueff – y décèlent les marques d’une entourloupe toute warholienne où un titre plaque du sens sur une séquence à la signification bien plus ouverte et poétique  : “Si, dans le fameux hors-champ savamment théorisé, il ne se passait rien ? Et si, au lieu de jouir, cet homme souffrait ? […] Ceci n’est pas vraiment une pipe” (Warhol à son image, Alain Cueff). Murielle Joudet

62. Les Amis de Gérard Blain (France, 1971). Avec Philippe March, Yann Favre, Jean-Claude Dauphin

Les Amis (Léopard d’or à Locarno en 1971) est le premier film de Gérard Blain (1930-2000), jusque-là connu comme acteur, notamment de la Nouvelle Vague. Dans ce film, Blain aborde, dans un style qui assume l’ascendance de Robert Bresson, un sujet délicat, autobiographique : l’histoire d’un jeune homme sans père, Paul, mal aimé par sa mère, qui vit une idylle avec un homme riche. Blain aborde ce sujet de face, avec tact et pudeur, mais sans tricherie non plus. Il ne juge pas ses personnages, mais ne cache rien : le sexe, l’amour, le pouvoir de l’argent. Le jeune Paul trouve l’affection qui lui manque dans sa famille auprès des hommes, c’est tout – sans se sentir homosexuel. Blain, être écorché vif et écartelé, s’est parfois dit homophobe. Les Amis ne l’est pas. J.-B.M.

63. Laurel et Hardy (pour l’ensemble de leur œuvre)
Laurel et Hardy Délires à deux: Oliver Hardy, Stan Laurel
© Théâtre du Temple

Entre le lit qu’ils partagent, leur propension au transformisme et autres intrigues scabreuses, on a le droit de douter sur ce qui lie réellement le duo comique. En plein code Hays, Laurel et Hardy se glissent entre les mailles du filet et distillent un peu d’ambiguïté au milieu de leurs aventures désopilantes. Parodie aux relents homophobes ou sous-texte qui se prend au sérieux ? Peut-être que nous ne le saurons jamais, mais en tout cas, nos deux compères tiennent plus du couple SM que de l’union gaie. L.C.

64. Fireworks de et avec Kenneth Anger (États-Unis, 1947).

Toute la filmo du réalisateur expérimental californien fait du cinéma un rituel d’adoration, de mort et de sexe. Fireworks, considéré comme l’un des premiers films gay de l’histoire, dure treize minutes percutantes durant lesquelles un jeune rêveur (joué par Anger lui-même, alors âgé de 20 ans) rencontre un, puis plusieurs marins. Ils le tabassent et font de son corps un terrain de souillure. Au bout du film, le rêveur revient au lit et un compagnon apparaît à ses côtés. Il est aussi question d’adoration du phallus à travers une bite-feu d’artifice – d’où le titre du film. Le célèbre et éphémère Festival du Film Maudit de Biarritz, en 1949, lui a attribué son Prix du film poétique. Anger a aujourd’hui 95 ans. O.J.

65. Willow Springs de Werner Schroeter (Allemagne, 1973). Avec Magdalena Montezuma, Christine Kaufmann

Une autre forme d’amour possible : celui que délivre une communauté. La nature queer de ce désir latent n’a même pas besoin de se dire. Car tout ici est montré comme un refuge, une retraite, à l’ombre de la norme, un lieu de vérité. Willow Springs a élu le sien dans une hacienda isolée, plantée au milieu du désert de Mojave. Là, trois femmes laissent passer les heures comme on se vide de toute une société qui n’a rien fait pour vous jusqu’ici : elles écoutent des toccatas, fument des cigarettes, se fardent. L’arrivée d’un homme au sein de ce trio tient presque, dans le régime totalement féminin du film, du vaudeville à la Feydeau élevé à un niveau parodique. L’un des plus grands films de Werner Schroeter. P.A.

66. Sylvia Scarlett de George Cukor (États-Unis, 1935). Avec Katharine Hepburn, Cary Grant
Sylvia Scarlett: Katharine Hepburn
© RKO Radio Pictures Inc.

Avant Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, George Cukor abordait déjà la question de l’homosexualité, ou plus largement du trouble et de la fluidité dans le genre, en prenant le déguisement comme alibi “acceptable” pour y regarder de plus près. À l’inverse du film de Wilder, c’est une femme, Sylvia (Katharine Hepburn, cheveux courts, jamais aussi belle/beau) qui, pour mener à bien les petits escroqueries qui la font vivre son père et elle (et sans doute avoir la vie douce), se fait passer pour un jeune homme du nom de Sylvester. Evidemment, tout ceci se dérègle, quand une autre Marilyn du nom de Cary Grant (avant d’être intronisé en tant qu’icône gay) fait intrusion dans le duo et ravit la jeune femme aux airs de petit garçon. M.D.

67. La Rivière rouge d’Howard Hawks (États-Unis, 1948). Avec John Wayne, Montgomery Clift 
John Wayne et Montgomery Clift
© D.R.

Le premier véritable rôle de Montgomery Clift figure dans le premier western de Hawks, qui devine tout de l’aura à venir de sa star naissante et signe avec elle un commentaire sur l’homoérotisme latent du genre, si criant qu’il en devient presque extatique. Dès le premier plan, il lèche nonchalamment une brindille phallique ; un peu plus loin, incroyable scène d’échange de pistolet avec un rival (“Tu veux voir le mien ?”). Bisexuel notoire, Clift mourra à 45 ans au terme du plus tragique des destins parmi les grands acteurs closeted du classicisme hollywoodien de la dernière période (Brando, Grant). T.R.

68. Matthias et Maxime de Xavier Dolan (Canada, 2019). Avec Gabriel D’Almeida Freitas, Xavier Dolan
Matthias & Maxime
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Devant la caméra d’une apprentie cinéaste, Matthias et Maxime, amis de longues dates, pensent échanger un baiser de cinéma que nous ne verrons pas. De cet événement pas tout à fait banal, naît tout le trouble du film. Ce tour de force scénaristique (nous priver de l’origine de cette tension) va bien au-delà du simple plaisir de frustration. Toute la beauté et la force émotionnelle se retrouvent ainsi encapsulées dans cette image manquante du baiser. Par ce geste, Dolan laisse à ses personnages le droit de garder ce qui ne peut se partager. Une image disparaît et dans cette éclipse, c’est le sentiment vertigineux que le monde ne sera (pour eux) plus jamais le même qui apparaît. M.D.

69. Beautiful Thing de Hettie McDonald (Royaume-Uni, 1996). Avec Linda Henry, Glenn Berry, Scott Neal
Beautiful Thing
© Splendor Films

Premier téléfilm britannique à aborder frontalement la question de l’homosexualité, Beautiful Thing raconte l’histoire d’amour entre Ste et Jamie, deux jeunes vivant dans les quartiers populaires d’une banlieue ouvrière du Sud-Est de Londres. Si le titre du film est à l’image d’un film un peu trop gentillet, l’extrême bienveillance avec laquelle le réalisateur regarde à la fois les classes populaires et l’homosexualité, et porte haut la possibilité d’une acceptation sans tomber dans les ornières du film gay en souffrance, le rend remarquable. B.D.

70. Furyo de Nagisa Ōshima (Japon, Royaume-Uni, 1983). Avec David Bowie, Tom Conti, Ryūichi Sakamoto
Furyo: David Bowie
© Oshima Productions

La rencontre abrasive entre Le Pont de la rivière Kwaï et Mort à Venise, orchestrée par le réalisateur de L’Empire des sens. Dans un camp de prisonniers sur l’île de Java, un officier japonais (Ryūichi Sakamoto) se consume de désir pour la crinière blonde de son prisonnier anglais, beau oui comme Bowie. Un conte opaque inondé de lumière sur la réversibilité des mécanismes de domination, où le pouvoir est rongé par l’obsession érotico-amoureuse. J.-M.L.

71. Keep the Lights On d’Ira Sachs (États-Unis, 2012). Avec Thure Lindhardt, Zachary Booth 
Keep the Lights On
© KMBO

Pour son quatrième long métrage, le plus beau, le cinéaste américain Ira Sachs a choisi de s’inspirer d’un moment particulier de sa vie afin de l’exorciser : sa relation amoureuse, chaotique et ombrageuse avec l’agent littéraire Bill Clegg. S’appuyant sur les mémoires de ce dernier, Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme, Sachs offre ici sa propre vision des faits, au gré des souvenirs fluctuants. Servi par la photographie vaporeuse de Thimios Bakatakis (chef op grec, notamment de Yórgos Lánthimos) et la musique échevelée d’Arthur Russell (musicien touche-à-tout, pilier de l’avant-garde new-yorkaise, mort du sida en 1992), le film est déchirant. J.G.

72. Pink Narcissus, de James Bidgood (États-Unis, 1971). Avec Don Brooks, Bobby Kendall, Charles Ludlam

Dans son appartement minuscule et fantastique, un jeune prostitué se rêve tour à tour éphèbe grec, matador, esclave romain… L’écrin érotique, coloré et artisanal que vient créer Bidgood, dans ce film muet autoproduit qui met en scène ses sublimes muses Don Brooks et Bobby Kendall, fait office de matrice pour tout un cinéma queer à venir : dans ces lents mouvements, ces regards lubriques, ces poses avenantes, le film flirte avec le porno tout en déployant un imaginaire romantique et romanesque : une histoire d’amour entre filmeur et filmé, mais également du modèle avec son propre reflet. P.C.

73. La Fureur de vivre, de Nicholas Ray (États-Unis, 1955). Avec James Dean, Natalie Wood, Sal Mineo 
La Fureur de vivre: James
        Dean, Nicholas
        Ray

Sorti en 1954, dans une Amérique à peine remise du maccarthysme mais encore en plein code Hays, Rebel Without a Cause est resté célèbre pour avoir inventé la figure de l’adolescent rebelle et sexy, avec son James “Jimbo” Dean en jean, blouson rouge et tee-shirt blanc. Personne n’incarnait alors mieux la modernité masculine. Mais à revoir le film aujourd’hui, même si l’aura de Dean demeure, c’est surtout son partenaire, Sal Mineo, qui frappe par sa troublante modernité. Beaucoup moins dans une recherche de virilité que dans une fragilité assumée par la mise en scène de Nicholas Ray (lui-même bisexuel), Plato, l’ami amoureux, est une figure queer secrète – un secret qui s’est depuis largement éventé. J.G.

74. La Corde d’Alfred Hitchcock (États-Unis, 1948). Avec James Stewart, John Dall, Farley Granger
Farley Granger et James Stewart
© D.R.

De Cary Grant à Sean Connery, Alfred Hitchcock fut un as dans l’érotisation des mâles à poil dur. Il s’est aussi beaucoup illustré dans l’exercice du Queer Coded Villain, ces méchants de films hollywoodiens dotés de signes suggérant l’homosexualité : Martin Landau dans La Mort aux trousses (1959), Robert Walker dans L’Inconnu du Nord-Express (1951). Dans La Corde (1948) on frôle la visibilité : Brandon (John Dall) et Philip (Farley Granger) sont un couple d’étudiants qui par “jeu” étranglent un camarade. Dans l’appartement où ils ont caché le cadavre, ils invitent des amis dont le professeur Cadell, joué par James Stewart, archi-antipathique en hétéro-flic. La figure du couple maudit résiste cependant à la puanteur homophobe. G.L.

75. Ce vieux rêve qui bouge d’Alain Guiraudie (France, 2001). Avec Pierre-Louis Calixte, Jean-Marie Combelles
Ce vieux rêve qui bouge
© Magouric Distribution

Guiraudie a inventé un cinéma qui ne ressemble qu’au sien : à la fois naturaliste et politique, conte de fée, western gay, quelque chose entre les trois. L’action du film se déroule dans une usine qui va fermer, dont un jeune technicien est venu démonter la dernière machine. Il est attiré par le directeur de l’usine, mais celui-ci n’est pas intéressé. Dans une ambiance mystérieuse où tout semble au fond normal, un vieil ouvrier veut bien, lui. Mais ça ne marche pas comme ça, le désir. Guiraudie érotise le moindre de ses plans, tout en usant d’un humour potache, provocateur, qui fait contraste. Ce moyen métrage fut sélectionné à Quinzaine des Réalisateurs et remporta le prix Jean-Vigo en 2001. J.-B.M.

76. Querelle de Rainer Maria Fassbinder (Allemagne, France, 1982). Avec Brad Davis, Franco Nero, Jeanne Moreau
Brad Davis
© Carlotta Films

C’est par cette adaptation hautement stylisée du Querelle de Brest de Jean Genet que se clôt l’œuvre profuse de Fassbinder. Le prodige meurt à 37 ans, quelques semaines avant la présentation du film au festival de Venise. Dans des décors de studio ostentatoirement faux, dans une lumière orange entre Blade Runner et un clip de Duran Duran, des marins s’étreignent avec vigueur avant de se battre au couteau. Fassbinder dédouble des personnages de Genet, organise un ballet moite de doubles et de miroirs. Le désir palpite en turgescents chants d’amour. Jamais n’a été aussi conformément rendue la texture même du fantasme. J.-M.L.

77. Kaboom de Gregg Araki (États-Unis, 2010). Avec Thomas Dekker, Chris Zylka, Haley Bennett
Chris Zylka
© Why Not Productions

Avec Kaboom, Araki plonge de beaux ados défoncés dans une bulle acidulée à l’abri du monde, un campus américain, dans lequel un brun ténébreux rêve d’un surfeur blond gentiment débile (Thor, son colocataire). À cette nouvelle étude des plaisirs et des désirs carburée à un flux de paroles quasi épileptique dont il ne cesse de filmer les variations, Araki greffe un voile horrifique, pas loin de Lynch mais en plus drôle, pour dire un état de décrépitude d’un monde paranoïaque en même temps qu’une possible résistance dans la jouissance. M.D.

78. Shortbus de John Cameron Mitchell (États-Unis, 2006). Avec Paul Dawson, PJ DeBoy, Sook-Yin Lee
Shanti Carson, Sook-Yin Lee et Jan Hilmer
© D.R.

Du sexe non simulé mais jamais porno glauque, de l’art, du rock lancé à toute berzingue dans un club underground américain très libre, peuplé de freaks, de marginaux, d’originaux, de coincés désinhibés, de ratés du sexe ou de joyeux athlètes SM totalement épanouis. Toutes les sexualités s’y rencontrent, s’y croisent, se donnent du plaisir parfois, au-delà souvent de leurs identités affichées et revendiquées. John Cameron Mitchell, qui avait préparé son film pendant plusieurs années avec des acteurs non professionnels, des gens comme vous et moi, dessine une métaphore utopique et déjantée de l’Amérique où chacun pourrait un jour jouir sans entrave. Un film incroyablement libre, joyeux et désespéré, jamais imité, jamais égalé depuis sa sortie en 2006. Un manifeste joyeux qui semble hélas, à ce jour, être resté une utopie. J.-B.M.

79. Été 85 de François Ozon (France, 2020). Avec Benjamin Voisin, Félix Lefebvre
Eté 85: Félix Lefebvre, Benjamin Voisin
© Jean-Claude_Moireau_2020_MANDARIN PRODUCTION_FOZ_France 2 CINEMA_PLAYTIME PRODUCTION_SCOPE PICTURES

Alors qu’il tente de se remettre de la mort de son amour d’été, Alexis demande à sa meilleure amie : “Tu crois qu’on invente les gens qu’on aime?” C’est la plus belle réplique de ce film sur le deuil amoureux. Dans cet avant-dernier film de François Ozon, la mort de l’être aimé est une réalité biologique, mais c’est aussi une image mentale manipulable, une fiction qui fait de cette apparente bluette teen un grand film sur le sentiment amoureux et même sur l’invention de soi. Car ce que le film esquisse aussi en creux, c’est qu’en prenant conscience que l’autre est une fiction, on réalise qu’on l’est aussi soi-même. B.D.

80. The Watermelon Woman de Cheryl Dunye (États-Unis, 1996). Avec Cheryl Dunye, Guinevere Turner

“J’ai commencé à te kiffer la minute où je t’ai vue ranger des cassettes”, dit Diana à Cheryl qui travaille dans un vidéo club. Alors que Cheryl tente de lui montrer un film des années 1940 avec une comédienne noire, Diana s’allume une cigarette, pique celle de Cheryl et l’embrasse langoureusement alors qu’elle tient leurs deux clopes d’une seule main. La scène de sexe qui suit montre la fusion de leurs deux corps : de très gros plans de la peau noire de Cheryl se collant à la peau blanche de Diana, leurs mains baguées qui s’entrelacent, un bout des seins happé par une langue. Tout n’est que friction et moiteur dans ce très grand film qui porte à la fois sur l’invisibilisation des comédiennes noires dans l’histoire du cinéma, l’effacement du désir lesbien et une réflexion profonde sur le rôle des archives. I.B.

81. Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar (Espagne, 1999). Avec Cecilia Roth, Marisa Paredes, Penélope Cruz
Tout sur ma mère: Marisa Paredes
© Droits réservés

Quand Manuela perd son fils, elle manque de perdre la tête. Lola. Il lui faut retrouver Lola pour retrouver la raison et remuer son passé pour guérir. C’est ainsi que l’ancienne actrice retrouve de vieilles connaissances et s’en fait de nouvelles : Agrado, une travailleuse du sexe trans à la langue bien pendue, l’adorable Sœur Rosa, et une actrice dans la déroute, Huma Rojo. Mais qu’est-il advenu de Lola ? Avec le talent qui lui est propre et un certain avant-gardisme, Pedro Almodóvar redéfinit le concept de parentalité en repoussant les limites de ses représentations. Tout sur ma mère n’est pas une simple histoire d’amour mettant en scène deux individus. C’est un récit collectif et chaleureux qui exalte la puissance de cinq femmes unies pour le meilleur et pour le pire. L.C.

82. Boys Don’t Cry de Kimberly Peirce (États-Unis, 1999). Avec Hilary Swank, Chloë Sevigny
Chloe Sevigny / Hilary Swank

Inspiré par l’histoire vraie de Brandon Teena (un homme trans violé puis assassiné par des hommes de son entourage), ce film a durablement marqué l’histoire de la représentation des transidentités à l’écran – en plus de valoir à Hilary Swank, à l’époque quasi inconnue, un Oscar de la meilleure actrice. Si Boys Don’t Cry marque autant, c’est parce que sa réalisatrice Kimberly Peirce a fait le choix, au-delà de la reconstitution du crime transphobe, de se concentrer sur l’histoire d’amour entre Brandon et sa petite amie. Une parenthèse lumineuse, brutalement interrompue par le drame. M.K.

83. Totally Fucked Up de Gregg Araki (États-Unis, 1993). Avec James Duval, Roko Belic

Sorti aux États-Unis en 1993, Totally Fucked Up est le premier volet de la Teenage Apocalypse Trilogy de Gregg Araki. Réalisé, comme ses trois précédents films, avec un budget modeste – ce n’est qu’à partir des suivants, The Doom Generation et Nowhere qu’il travaillera dans des conditions professionnelles –, le film raconte par bribes la vie et les amours de six adolescent·es gays ou lesbiennes, dans un Los Angeles décimé par le SIDA. Filmé en super 16 et en vidéo, avec une forme très libre, alternant naturalisme et formalisme, c’est un étendard de ce que les critiques anglo-saxons appelèrent à l’époque le New Queer Cinema. Contrairement à Moins que zéro de Bret Easton Ellis, ici c’est le monde qui ne croit plus en rien, pas les personnages, qui eux essaient simplement de faire mieux que survivre. J.G.

84. Tangerine de Sean S. Baker (Etats-Unis, 2015). Avec Kitana Kiki Rodriguez, Mya Taylor, Karren Karagulian
Tangerine: Mya
        Taylor, Kitana
        Kiki Rodriguez
© ARP Sélection

Sin-Dee, au magique patronyme de Rella (Cendrillon moderne), est une prostituée trans africaine-américaine : à sa sortie de prison, elle retrouve sa collègue Alexandra, qui lui apprend que son prince charmant Chester, son mac/petit ami, l’a trompée avec une certaine Dinah, une blanche cis qu’elle se met en tête de retrouver pour lui faire la peau. S’ensuit une odyssée à travers Los Angeles filmée à l’iPhone, arpentant ses trottoirs immenses avec détermination, férocité et une gouaille inimitable. C’est l’histoire d’une vengeance survoltée, ou comment guérir d’un fuck boy tout en luttant pour sa propre survie. P.C.

85. Odete de João Pedro Rodrigues (Portugal, 2005). Avec Ana Cristina de Oliveira, Carloto Cotta, João Carreira
Odete: João Pedro Rodrigues
© Pierre Grise Distribution

On a rarement vu au cinéma un prologue aussi littéralement foudroyant. Au sortir d’un anniversaire fêtant sa liaison avec Rui, le jeune Pedro, distrait par l’envie d’un dernier texto à son chéri, meurt dans un accident de voiture. La suite sera un lamento du souvenir.  Mais comme l’adoré João Pedro Rodrigues n’est pas la moitié d’un cinéaste, le récit est bouleversé par Odete, jeune fille qui s’hallucine en veuve de Pedro qu’elle prétend père de son futur enfant. Le désir est un hors-la-loi. G.L. 

86. I Don’t Want to Sleep Alone de Tsai Ming-liang (Taïwan, Malaisie, 2006). Avec Lee Kang-sheng, Norman Bin Atun, Chen Shiang-chyi
I Don't Want to Sleep Alone: Tsai Ming-liang
© D.R.

L’un des sommets de la carrière de trente ans du Taiwanais Tsai Ming-liang (Les Rebelles du Dieu Néon, Vive l’amour notamment) se déroule dans la moiteur de Kuala Lumpur en Malaisie, son pays d’origine. D’un côté, un paralysé est martyrisé par sa famille. De l’autre, un jeune homme sans domicile agressé se retrouve pris en charge – lavé, massé – par un migrant venu du Bangladesh, qui tombe amoureux de lui. Une jeune domestique complète ce trio amoureux singulier, que le cinéaste filme à sa manière frontale et lente, occupé à capter les fluides et les peaux, les beautés dont sont capables les corps même quand ils sont démunis. En creux se tisse un exercice d’admiration de la part de Tsai pour Lee Kang-sheng, acteur principal de tous ses films, filmé en toute lascivité. O.J.

87. Maurice de James Ivory (Royaume-Uni, 1987). Avec James Wilby, Hugh Grant, Rupert Graves
James Wilby
© D.R.

Inspiré d’un roman de Forster, Maurice de James Ivory explore l’homosexualité rampante dans la haute société anglaise du début du XXe siècle. Maurice crame d’amour pour Clive, qui lui préfère la sécurité d’un mariage hétéro. Pour se consoler et se venger, Maurice file avec Alec, jeune garde-chasse (on le comprend, c’est l’avenant Rupert Graves !). On est reconnaissant à Hugh Grant de troubler son image dans le rôle de Clive, mais nos désirs convergent vers James Wilby, Maurice de rêve. G.L.

88. Persona d’Ingmar Bergman (Suède, 1966). Avec Liv Ullmann, Bibi Andersson
Bibi Andersson et Liv Ullmann
© Svensk Filmindustri (S.F.)

Au centre de Persona, il y a deux femmes. Alma (Bibi Andersson) est infirmière. Elizabeth (Liv Ullmann) est actrice. L’une parle, l’autre pas. Entre les deux circule une électricité, une attraction qui est difficile à nommer. Est-ce de l’amitié, de l’amour, une attirance sexuelle ? Ingmar Bergman ne le dira jamais explicitement mais il crée les conditions d’une relation inédite et forcément sexuée entre ces deux femmes. Une relation magnétique, hypnotique, fulgurante mais aussi paralysée, entravée, trahie. On n’en saura pas plus et c’est très bien ainsi. T.J.

89. Huit femmes de François Ozon (France, 2002). Avec Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Isabelle Huppert
Catherine Deneuve et Fanny Ardant
© Mars Distribution

Dans Huit femmes, il y a cette scène quasi fantasmagorique : la réunion de deux icônes, Fanny Ardant et Catherine Deneuve, s’embrassant sur une moquette rouge. Une histoire de désir naissant plantée dans un cluedo-boudoir, ce monde sans hommes imaginé par Ozon. L’autre histoire de Huit femmes, peut-être la véritable, est une histoire qui elle n’a pas le droit au champ de la caméra. Elle se contente d’être racontée comme un secret honteux qu’il faudrait cacher : c’est dans un cabanon, à l’abri des regards, que madame Chanel (Firmine Richard), bonne de la maison, peut vivre ses amours saphiques avec Pierrette (Ardant, toujours), bourgeoise. Un film invisible dont on rêve à une réalisation toute fassbinderienne. M.D.

90. La Belle Saison de Catherine Corsini (France, Belgique, 2016). Avec Izïa Higelin, Cécile de France
La Belle Saison: Cécile de France, Izïa Higelin
© CHAZ productions

Beaucoup de choses s’entremêlent dans ce très beau mélo de Catherine Corsini : une histoire d’amour touchante (dans les années 1970 à Paris, une hétéra du MLF tombe sous le charme d’une fille de paysans), l’énergie produite par les combats politiques collectifs (le film est l’un des rares à mettre en scène le mouvement féministe), mais aussi l’éclosion délicate d’une émancipation individuelle. Le tout magnifiquement porté par Cécile de France et Izïa Higelin. M.K.

91. Garçon d’honneur d’Ang Lee (Taïwan, Etats-Unis, 1993). Avec Winston Chao, Mitchell Lichtenstein

Moins connu que Brokeback Mountain, Garçon d’honneur nous fait passer du rire aux larmes avec grâce et pudeur. Il met en scène trois personnages : Wei-Tong, Taïwanais naturalisé Américain, son compagnon, Simon, et la locatrice loufoque de Wei-Tong, Wei-Wei. Pour se débarrasser de la pression parentale, Wei-Tong épouse Wei-Wei, à qui l’obtention d’une carte verte ne fera pas de mal. Mais les choses se compliquent quand la famille du jeune homme déboule… Deuxième volet de la trilogie Father Knows Best, Garçon d’honneur aborde l’homosexualité en la replaçant dans le contexte du conflit culturel et générationnel, et suggère avec brio une redéfinition de la famille à l’instar d’Almodóvar. L.C.

92. Nitrate Kisses de Barbara Hammer (États-Unis, 1992).
Nitrate Kisses: Barbara
        Hammer
© Festival du Film de Femmes de Créteil

Morte en 2019 à l’âge de 79 ans, très peu connue en France, petite fille de l’actrice du cinéma muet Lillian Gish, Barbara Hammer était la plus importante cinéaste lesbienne underground. Son film le plus connu, Nitrate Kisses, est aussi son premier long métrage. Ce premier volet de la trilogie The Invisible Stories, Hammer le conçoit tel un collage documentaire revenant sur l’histoire intime des gays et des lesbiennes, à travers des archives et des témoignages sexuels et amoureux, autant que comme un essai personnel sur des vies cachées, des caresses dévoilées, des gestes interdits et rendus à leur beauté première. Un film sensuel et politique, mémoriel et inoubliable. O.J.

93. Benedetta de Paul Verhoeven (France, Pays-Bas, Belgique, 2021). Avec Virginie Efira, Daphné Patakia, Charlotte Rampling
Benedetta: Charlotte Rampling, Virginie Efira

Y a-t-il vraiment de l’amour, du désir dans Benedetta ? Ou seulement la mise en scène de l’amour et du désir ? Et en dessous le mensonge, le chantage, le contrôle des esprits ; et in fine le pouvoir, qu’octroie à certain·es l’argent, à d’autres l’autorité religieuse, et aux plus chanceux·ses la beauté ? Le film de Verhoeven, inspiré par l’histoire d’une nonne mystique déjà quasi sanctifiée au moment où on l’accusa de saphisme, n’est au fond qu’un grand entrelacs de stratégies individuelles, au centre duquel trône la jouissance secrète et le talisman interdit du sexe. Mais peut-être que c’est ça, l’amour. T.R.

94. Olivia de Jacqueline Audry (France, 1951). Avec Edwige Feuillère, Marie-Claire Olivia

C’est un film unique qui n’en est pas un, puisque Jacqueline Audry, femme cinéaste encore très seule en France dans les années 1940, réalise une quinzaine d’autres longs, mais avec moins de bonheur. Celui-ci fait date non seulement pour sa belle audace, sa frontalité saphique, mais aussi pour la rigueur frémissante de son huis clos, son atmosphère entêtante, son poison violent. Film de pensionnat et de jeunes filles en fleurs, après le réussi Jeunes filles en uniforme de Léontine Sagan (1931), il est l’adaptation du roman autobiographique de l’Anglaise Dorothy Bussy, succès et scandale d’édition en 1949. C’est la sœur d’Audry, Colette, qui en a écrit le scénario, et peut-être – ce qui en ferait bien un film unique – est-ce vraiment son film “secret” à elle, plus que celui de sa cadette. Mais un film de sœurs, cela est déjà exceptionnel, contrairement à la tradition du “film de frères”. II s’agit aussi du coming out, comme on ne disait pas alors, de son interprète principale, sans tapage mais étourdiment franche, Edwige Feuillère. C.N.

95. Faut-il tuer Sister George ? de Robert Aldrich (États-Unis, 1968). Avec Beryl Reid, Susannah York
Faut-il tuer Sister George ?

L’immense Robert Aldrich a signé une œuvre qui fait office de sublime hapax dans le cinéma américain : l’histoire tumultueuse de June (Beryl Reid) qui campe Sister George, une vertueuse infirmière dans un mièvre soap opera. Un rôle à mille lieues de sa personnalité de lesbienne acariâtre et alcoolique qui sadise sa jeune compagne collectionneuse de poupées. Un film n’a jamais été aussi libre, fou et cathartique – et d’abord improbable. Avec son habituelle méchanceté, Aldrich saisit tous les grands infigurables du cinéma en offrant un premier rôle à une vieille actrice de télévision et en filmant un amour lesbien où règne une grande différence d’âge. Il faut le voir pour le croire. M.J.

96. La Captive de Chantal Akerman (Belgique, France, 2000). Avec Sylvie Testud, Stanislas Merhar, Olivia Bonamy
Sylvie Testud et Olivia Bonamy
© StudioCanal

Un jeune homme riche, Simon (Stanislas Merhar), ne cache pas à la femme qu’il abrite dans sa vaste demeure, Ariane (Sylvie Testud), qu’elle est l’objet absolu de son désir. Elle semble indifférente (elle ne cache pas qu’elle est lesbienne) mais sans haine, le laissant parfois jouir sur elle sans jamais se déshabiller. Simon souffre, a beau essayer de suivre le fil d’Ariane, de la suivre dans sa vie quotidienne, de l’observer toute la journée, de la comprendre, en somme, elle n’est captive de rien et surtout pas de lui. “Tu t’éloignes dès que tu fermes les yeux”, dit Simon avec ses airs de vampire. Très libre adaptation de La Prisonnière de Proust, Chantal Akerman saisit par l’image la solitude, la souffrance ambivalente de l’inassouvissement du plaisir et l’impossibilité de la possession à travers le sexe. J.-B.M.

97. Emily Dickinson, A Quiet Passion de Terence Davies (Royaume-Uni, Belgique, 2016). Avec Cynthia Nixon, Jennifer Ehle
Emily Dickinson, A Quiet Passion

Le biopic idéal : le silence vital au lieu du drame de l’existence, l’ellipse et le for intérieur au lieu des grandes orgues, et la volonté dickinsienne, respectée par le film, de s’absenter expressément, “calmement”, de la vie, au lieu de la chronique tapageuse d’une existence étouffée : la révélation est entre les actes (c’est un film “woolfien” à maints égards, aussi). La passion calme du titre est d’abord celle d’Emily Dickinson pour la poésie ; ensuite seulement, celle de la poétesse pour sa belle-sœur, Susan Gilbert, en filigrane, comme la broderie. Terence Davies, dans ce qui demeure son plus beau film, atteint, aux côtés de la comédienne Cynthia Nixon (qui ne fait pas mystère de son homosexualité à la ville), des sommets de sentimentalité fiévreuse et évoque par endroits l’Oliveira de Val Abraham, autre grand film de féminité homosensuelle. C.N.

98. Torch Song Trilogy de Paul Bogart (États-Unis, 1988). Avec Harvey Fierstein, Matthew Broderick, Anne Bancroft
Torch Song Trilogy

Paul Bogart (1919-2012) fut rare au cinéma. Torch Song Trilogy apparaît d’autant plus comme un coup d’éclat. On y suit la vie d’Arnold, travesti épanoui de l’enfance à la maturité, et surtout le récit de ses amours perdues : Ed qui préfère redevenir hétéro, puis Alan, assassiné dans une émeute anti-gays. Cet Alan nous chavire car il est interprété tout en délicatesse par le sensationnel Matthew Broderick. Hyper bonus : Ann Bancroft en mère terrible. G.L.

99. Alexandrie pourquoi ? de Youssef Chahine (Égypte, 1979). Avec Mohsen Mohieddin, Naglaa Fathi, Ahmed Zaki
© AFP

Alexandrie pourquoi ?, l’un des films les plus importants de Youssef Chahine, n’est pas à proprement parler un film gay. Pourtant, au cœur de ce récit autobiographique et polyphonique qui se déroule en 1942, serpente le fil d’une émouvante relation amoureuse entre un bel Égyptien et un soldat anglais qui va mourir. Comme c’est l’Égyptien qui séduit l’Anglais, on peut également voir, à travers l’affirmation de ce désir, un renversement de la domination coloniale. Ce qui fait d’Alexandrie pourquoi ? un film très audacieux et doublement politique qui connut d’ailleurs à l’époque, en 1979, quelques problèmes dans le monde arabe. T.J.

100. Desert Hearts de Donna Deitch (États-Unis, 1985). Avec Helen Shaver, Patricia Charbonneau

Dans une sorte de Brokeback Mountain avant l’heure, Desert Hearts suit une prof de fac, Vivian, qui rencontre la propriétaire d’un ranch dans le Nevada dans les années 1960. Dans ce film grand public, Donna Deitch assume le genre du mélodrame lesbien, mais celui-ci se finit bien ! Vivian réussit à franchir le cap et aller vers son désir dans une scène très sensuelle où la sueur, les larmes et la salive prennent corps, où les bruits des bouches se mêlent à ceux des cloches d’une église qui résonnent, et où Vivian s’autorise enfin à aller vers un autre corps lesbien. I.B.

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