En raison de contraintes techniques et de choix commerciaux, les appareils photo mis en avant par les constructeurs de smartphone peuvent occasionner des distorsions, et des gros nez. On vous explique pourquoi… et comment y remédier.
Lorsqu’on se penche sur les smartphones de 2021, la plupart des modèles sont dotés de plusieurs appareils photo au dos. On va généralement retrouver un capteur photo principal très bien défini ainsi que des capteurs secondaires. Selon la gamme de smartphones et le positionnement photo du téléphone, plusieurs solutions s’offrent alors. La plupart du temps, tous les modèles sont dotés d’un appareil photo ultra grand-angle. Pour les autres, on va parfois avoir un module macro, un module pour le mode portrait, un module monochrome et, éventuellement, un ou plusieurs modules avec téléobjectif pour proposer un zoom optique.
Pour aller plus loin
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Cependant, il demeure une constante : l’appareil photo le mieux équipé est toujours celui doté d’un objectif grand-angle.
Quel objectif pour quel usage ?
Avant d’aller plus loin, il convient d’expliquer ce que sont les objectifs grand-angles, standard ou longue focale.
Généralement, on parle d’un objectif grand-angle pour une longueur focale (équivalente full frame) inférieure à 35 mm. Ce sont les objectifs, en photographie, privilégiés pour les photos de rue, de paysage, de ciels étoilés ou d’architecture. Ces optiques ont pour intérêt de permettre un large champ de vision et donc de placer un sujet dans son environnement.
De 35 à 70 mm, on va plus facilement parler de focale standard. Pourquoi ce nom ? Et bien parce que, selon une idée reçue, les objectifs de 50 mm correspondent le mieux à la perception de l’œil humain. Ce n’est pas tout à fait vrai, puisque l’œil propose un champ de vision plus large, mais cela reste le cas en termes de distorsion. Avec un objectif 50 mm, vous aurez la même perception optique qu’avec votre œil. Les déformations causées par la perspective seront donc les mêmes.
Enfin, à partir de 70 mm, on parlera de téléobjectif, ou de longue focale. Les plans seront alors bien plus rapprochés les uns des autres et ce sont ces objectifs qui seront privilégiés pour les portraits en gros plan.
Dans le monde de la photo, les photographes — comme les constructeurs d’objectifs — privilégient donc cinq longueurs focales, correspondant à cinq usages : 24 mm, 35 mm, 50 mm, 85 ou 135 mm.
Pourtant, dans l’univers du smartphone, ce sont bien souvent des focales différentes qui sont proposées sur les différents appareils. La plupart du temps, les constructeurs proposent un appareil photo principal grand-angle équivalent 28 mm, un ultra grand-angle équivalent 17 mm et un téléobjectif équivalent 50 ou 75 mm selon si le constructeur communique sur un zoom optique x2 ou x3. Cela se traduit par des angles de vision — donnée davantage mise en avant par les constructeurs — de 75°, 113°, 46° ou 32°.
Les capteurs des appareils grand-angles largement privilégiés
La constante de ces modules photo, c’est qu’à chaque fois, c’est le même choix qui est fait par le constructeur, le même appareil photo qui est privilégié : le grand-angle de 27 ou 28 mm.
C’est souvent ce capteur qui est doté des meilleures fonctionnalités, que ce soit en termes de HDR, de mode nuit, de stabilisation optique ou de performances pour la vidéo. Il faut dire que ces appareils photo ont un avantage de taille : ils sont dotés de plus grands capteurs. Systématiquement, à l’annonce d’un nouveau smartphone, on peut s’attendre à ce que le capteur grand-angle soit le parangon du module photo.
Il n’y a qu’à voir trois appareils photo distincts pour s’en convaincre : le Google Pixel 6 Pro, l’iPhone 13 Pro Max et le Samsung Galaxy S21 Ultra :
iPhone 13 Pro Max | Samsung Galaxy S21 Ultra | Google Pixel 6 Pro | |
---|---|---|---|
Module ultra grand-angle | 12 Mpx, 1 μm, équivalent 13 mm (f/1,8) | 12 Mpx, 1,4 μm, équivalent 13 mm (f/2,2) | 12 Mpx, 1,25 μm, équivalent 17 mm (f/2,2) |
Module grand-angle | 12 Mpx, 1,9 μm, équivalent 26 mm (f/1,5) | 108 Mpx, 0,8 μm, équivalent 24 mm (f/1,8) | 50 Mpx, 1,2 μm, équivalent 25 mm (f/1,85) |
Module téléobjectif | 12 Mpx, 1 μm, équivalent 77 mm (f/2,8) | 10 Mpx, 1,22 μm, équivalent 72 mm (f/2,4) | 48 Mpx, 0,8 μm, équivalent 104 mm (f/3,5) |
Module téléobjectif secondaire | 10 Mpx, 1,22 μm, équivalent 240 mm (f/4,9) |
Dans les trois cas, on constate que c’est cet appareil photo grand-angle qui propose l’ouverture focale la plus élevée et donc les objectifs les plus lumineux. Par ailleurs, si les photosites des modules grand-angles sur les Galaxy S21 Ultra et Pixel 6 Pro sont a priori plus petits, ils sont en fait groupés par 9 ou par 4 pour proposer une meilleure définition ou une meilleure capture de la lumière.
Ainsi, le Galaxy S21 Ultra est, par défaut, proposé avec une définition de 12 mégapixels avec des photosites de 2,4 μm de côté (contre 1,4 ou 1,22 pour les autres capteurs). Il en va de même pour le Pixel 6 qui capture, en fait, des clichés de 12,5 mégapixels, avec des photosites de 2,4 μm de côté (contre 1,25 ou 0,8 μm pour les autres capteurs). C’est le principe du pixel binning. En plus de cette taille plus importe du capteur photo, la définition aussi est généralement plus importante sur les capteurs associés à l’objectif grand-angle, un point particulièrement important sur lequel on reviendra.
Si les modules grand-angles sont largement privilégiés par les constructeurs, ces objectifs sont avant tout pensés pour prendre des photos de rue, de paysage ou d’architecture. Ils ne sont pas les plus adaptés aux portraits. Pourtant, quand on se penche sur ce que les utilisateurs de smartphones prennent le plus en photo — comme l’a fait le chercheur T.J. Thomson en 2019 sur une base de données de 5000 clichés — les principaux sujets des photographies sont certes des objets, à 43,6 %, mais suivis de près par des personnes ou des animaux, à 31,4 %. Les scènes globales de bâtiments ou de nature — plus adaptées au grand-angle — ne font l’objet que de 24,9 % des clichés capturés.
Quel est le problème avec le grand-angle ?
De prime abord, on pourrait se dire que cela ne change rien, que les portraits pris au grand-angle sont identiques à une photo prise au téléobjectif avec zoom x2 ou x3 si l’on s’éloignait. Ce n’est pourtant pas le cas.
Ce n’est pas un hasard si les photographes privilégient les optiques 85 ou 135 mm pour les photos de portrait. Comme on l’a vu, ces longueurs focales sont celles qui vont le moins déformer les perspectives. Ce qui signifie donc a contrario que les focales plus courtes, les fameux grand-angles, vont fortement les déformer.
Concrètement, c’est de là que va venir l’effet gros nez sur les photos prises au smartphone. À cadre similaire, il faudra vous approcher bien davantage de votre sujet avec un objectif grand-angle qu’avec un téléobjectif. Logiquement, plus vous êtes près de votre sujet, plus les éléments proches vont grossir par effet de perspective. Et, comme les différents plans vont paraître davantage séparés les uns des autres, les éléments plus éloignés vont avoir tendance à devenir plus petits.
C’est pour ça que, si vous faites un portrait avec un objectif grand-angle — voire ultra grand-angle –, le nez de votre sujet paraîtra bien plus proéminent et ses oreilles auront tendance à disparaître derrière son crâne.
Pourquoi les constructeurs privilégient-ils le grand-angle ?
C’est donc un paradoxe auquel on assiste sur la photo sur smartphone. Les utilisateurs utilisent en grande partie leur appareil photo pour prendre des portraits. Mais les appareils photo les plus mis en avant par les constructeurs ne sont pas optimisés pour cet usage.
Cela ne signifie pas que les fabricants de smartphones ont tort. Ils font d’abord face à des contraintes physiques, comme me l’a expliqué un responsable des smartphones Pixel chez Google :
On peut vraiment pousser les limites de l’ouverture de nos objectifs, de l’autofocus, du poids ou de la taille du module photo, avec une optique plus large. Quand on cherche à avoir les mêmes capacités avec une longueur focale de 35 ou 50 mm, le design de l’objectif change drastiquement. On doit atténuer des éléments comme le flair, la fonction de transfert de modulation ou d’autres caractéristiques qui intéressent vraiment les gens. Ce qui finit par arriver, c’est que l’objectif devient plus lourd, donc l’autofocus est moins bon, l’objectif est plus large, donc le module photo devient plus épais.
Tout est histoire de compromis. Un capteur principal lié à une plus longue focale aurait nécessairement tendance à alourdir de manière inconsidérée le module photo.
Un avis corroboré par Sony, à la fois constructeur de smartphones, d’appareils photo et de capteurs photo pour smartphones : « plus la longueur focale d’un objectif est élevée, plus la distance entre l’objectif et la surface du capteur doit être importante. En outre, plus le capteur est grand, plus l’espace nécessaire est important. Cela explique pourquoi il est techniquement difficile d’intégrer de grands capteurs et des objectifs à grande focale dans des smartphones fins ». « Les appareils photo de smartphones sont évidemment basés sur un design optique, donc ils doivent suivre les principes de la physique. Par conséquent, ils obéissent à des règles comme « plus il y a de lumière, meilleure sera la photo », mais aussi « plus grand est le capteur, plus grand sera l’objectif » », complète Oppo.
Les utilisateurs veulent du grand-angle, voire du très grand-angle
Un autre élément à prendre en compte est l’attachement des utilisateurs aux appareils photo grand-angle, comme l’indique Oppo : « utiliser le grand-angle comme optique principal sur les smartphones aujourd’hui renvoie à la demande des utilisateurs qui souhaitent un bon appareil prêt à l’emploi qui fonctionne dans la plupart des scénarios classiques. C’est la plage focale qui répond au plus de demandes ». Même son de cloche du côté de Sony, qui nous indique avoir étudié l’utilisation « par les photographes professionnels ou les photographes amateurs » avant de s’orienter vers une gamme de 16 à 70 mm sur ses smartphones. De quoi expliquer également que la plupart des téléphones, même les plus entrée de gamme, proposent désormais un appareil ultra grand-angle en plus de la caméra principale.
S’il y a bien un constructeur qui a fait les frais de cet amour des utilisateurs pour l’ultra grand-angle, c’est bien Google. En 2019, le constructeur lançait les Pixel 4 et Pixel 4 Pro, des smartphones équipés alors d’un appareil grand-angle 27 mm et d’un second module… téléobjectif, équivalent 43 mm. La firme faisait alors l’impasse sur l’ultra grand-angle dans une industrie qui ne jurait déjà alors plus que par cette optique.
Les critiques ont été nombreuses, beaucoup de testeurs et d’utilisateurs déplorant l’absence d’ultra grand-angle pour les photos de paysage ou si le photographe manque de recul. Aujourd’hui, Google en est conscient, l’ultra grand-angle est devenu un indispensable de la photo sur smartphone : « lorsqu’on demande à nos consommateurs, beaucoup d’entre eux préfèrent l’ultra grand-angle, des perspectives plus larges, parce que cet appareil a un usage plus global dans lequel on peut recadrer et avec lequel on n’a pas à reculer autant ».
La haute définition comme alternative aux objectifs standard
Aussi bien pour des raisons techniques que commerciales, les constructeurs de smartphones ne comptent pas associer un capteur photo haut de gamme à un téléobjectif ou à un objectif standard. Cela ne les empêche pas pour autant de chercher des alternatives. Et c’est justement les capteurs mieux définis des appareils grand-angles qui sont taillés pour ça.
Aujourd’hui, des constructeurs comme Samsung ou Xiaomi proposent désormais des capteurs principaux de plus de 100 millions de pixels sur leurs smartphones. Samsung a par ailleurs annoncé avoir développé un capteur atteignant une définition de 200 millions de pixels. Et ces capteurs ont justement plusieurs attraits. Le plus évident est de proposer des clichés de meilleure définition, mais ce n’est pas le cas par défaut. En effet, avec les paramètres de base, les pixels sur ces capteurs sont regroupés par quatre ou neuf, ce qu’on appelle le pixel binning. Une manière pour les constructeurs d’émuler des photosites quatre ou neuf fois plus grands, et donc capables d’enregistrer davantage de lumière.
Mais le principal avantage, pour le sujet qui nous intéresse, est clairement le zoom numérique ou hybride. En opérant un zoom numérique x2 dans un capteur de 108 mégapixels, on conserve une définition de 27 mégapixels. Un zoom x3 va quant à lui permettre de garder une image de 12 mégapixels. Une qualité largement suffisante, que ce soit pour partager les clichés sur les réseaux sociaux, les envoyer à ses proches ou les imprimer pour de petits tirages.
Surtout, le fait d’utiliser l’appareil grand-angle avec un zoom numérique x2 ou x3 — pour atteindre une longueur focale équivalent 50 ou 75 mm — permet de profiter, artificiellement, d’un téléobjectif associé au meilleur capteur disponible sur le smartphone. Dès lors, les photos peuvent profiter non seulement de cette meilleure définition, mais également d’une stabilisation optique, du HDR ou de toute autre fonction qui serait bien trop lourde à intégrer sur les autres capteurs, comme l’explique Oppo :
Utiliser la longueur focale de 24 mm aide à rendre le design de l’appareil photo compact avec un petit module photo, tout en permettant d’utiliser un grand capteur comme on le retrouve sur des modèles haut de gamme comme le Find X3 Pro. Cela signifie que vous avez un appareil photo qui fonctionne pour la plupart des cas, tout en offrant les meilleurs résultats possible compte tenu des dimensions du smartphone.
Des téléobjectifs réservés aux smartphones haut de gamme
Pour éviter l’effet gros nez sur les smartphones, plusieurs constructeurs continuent de proposer des téléobjectifs, généralement sur leurs smartphones les plus haut de gamme. C’est le cas par exemple de Google avec son Pixel 6 Pro, mais aussi de Samsung qui, comme on l’a vu plus tôt, a dégainé rien de moins que deux objectifs longue focale — équivalent 72 et 240 mm — sur son Galaxy S21 Ultra.
Paradoxalement, si les appareils grand-angles restent les modèles les mieux dotés sur smartphone, ce sont les téléobjectifs qui font l’objet des principales innovations et démonstrations de force sur les smartphones. Et dans ce domaine, si Oppo n’a pas équipé son Find X3 Pro de téléobjectif, la marque est pourtant habituée de ce type d’optique :
Pour dépasser les limites de la taille, les marques de smartphones sont devenues très innovantes. Ajouter plusieurs appareils avec des longueurs focales n’a été qu’un début. Dès 2017 au MWC, Oppo a pris les devants avec un concept de téléobjectif périscopique pour offrir une longueur focale encore plus grande dans un smartphone sans faire de compromis sur la taille. Au cours des Inno Day cette semaine, on a pu voir un design de caméra rétractable, une autre approche qui permet à un grand capteur de 1/1,56″ d’être utilisé avec une longueur focale de 50 mm.
Huawei aussi a été pionnier dans le domaine des téléobjectifs en proposant, avec son P30 Pro, en 2019, un zoom numérique x50 — équivalent 1250 mm — une première alors pour un smartphone. Une prouesse rendue possible à la fois grâce au capteur principal très défini de 40 mégapixels et au capteur de 8 mégapixels associé à un objectif équivalent 125 mm.
On sait également que plusieurs constructeurs travaillent sur des systèmes devant permettre, à moyen ou long terme, de véritables zooms variables grâce à des mouvements d’optique au sein même de l’objectif. C’est le cas notamment d’Oppo, mais aussi de Samsung. Reste que ces nouveautés sont justement des innovations et qu’à ce titre, elles ne seront pas accessibles dès leur sortie au plus grand nombre. Pour les rentabiliser, les constructeurs devraient, une nouvelle fois, réserver ces objectifs longue focale d’un nouveau genre aux seuls smartphones premium.
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