Para One sur son film “Spectre : Vanity, Madness and The Family” :“Tout a pris sens d’un seul coup”

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C’est dans son studio de musique que Para One nous reçoit virtuellement, via Zoom, un soir d’octobre, quelques semaines avant la sortie de son premier long métrage, intitulé Spectre : Vanity, Madness and The Family. Filmé en plongée par sa webcam, il trône, casquette avec écrit “Jazz” vissée sur la tête, au milieu de cette caverne aux mille merveilles, parsemée d’ordinateurs, de claviers, de samplers et de luxuriants synthétiseurs modulaires débordant de fils colorés. Et l’on comprend, en voyant ce lieu où il s’enferme pour composer ses disques, pourquoi il a appelé le dernier, qui est aussi la B.O. du film, Machines of Loving Grace : toutes ces machines d’amour semblent en effet “veiller” sur lui.

Parlant de Richard Brautigan, poète para-beatnik dont un fameux poème a inspiré ce titre (ainsi que plusieurs scènes du film), il confie “adorer cette espèce de prophète, à la fois débonnaire et torturé, précurseur d’une écologie numérique, et qui donne furieusement envie de s’aventurer dans le futur. Mal compris, lu au premier degré, Brautigan aboutit au pire de la Silicon Valley, au transhumanisme ; alors qu’il était en fait, lui, très humaniste, et surtout ironique”.

“Ecologie numérique” : on est bien là, avec cet apparent oxymore, au cœur de ce qui meut depuis quelque temps déjà le DJ, producteur et désormais cinéaste Para One.

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Sept ans que le jeune artiste, de son vrai nom Jean-Baptiste de Laubier, planche sur ce vaste projet intitulé Spectre, sept ans qu’il extrait les sucs de son cerveau et triture les câbles de ses machines pour en faire ressortir son travail le plus personnel. Il y a d’un côté les sons, enregistrés aux quatre coins du monde (Bulgarie, Japon, Indonésie…) ; de l’autre les images, glanées au quotidien avec toutes sortes de caméra (Mini DV, HD, iPhone, Super 8…), avant d’être montées dans un autre studio. Le résultat est ce carambolage captivant (l’album et le film), cette hybridation rétro-futuriste, analogico-numérique, dont Laubier ne peut qu’admettre les “vertus thérapeutiques, en espérant que ça puisse toucher d’autres personnes, et ne pas être un pur solipsisme”.

Secrets de famille

Au départ, raconte-t-il, il y avait un projet de fiction, que l’aidait à écrire Céline Sciamma, son amie et complice depuis leurs études conjointes à la FEMIS (promo 2005), et dont il a composé la plupart des B.O. Et c’est en enquêtant sur son enfance, passée en partie dans des communautés catholiques New Age, qu’il a découvert, à 35 ans, en parlant avec sa mère, le secret de sa famille. Dès lors ce secret – qu’il est préférable de découvrir dans le film – a tout changé pour lui. “Tout a pris sens d’un seul coup. Toute ma vie, mes choix, mes amitiés, ma sensibilité à certains sujets, certains blocages aussi. J’ai soudain compris pourquoi je n’arrivais pas, depuis toutes ces années, à écrire de la fiction, et pourquoi j’étais si fasciné par la forme du film-essai, découverte à l’adolescence grâce à Sans Soleil de Chris Marker (Marker qui allait devenir, au sortir de la FEMIS, son mentor, ndlr). Ce n’était pas un hasard. La fiction dans laquelle j’avais été élevé était si puissante qu’elle empêchait les autres d’advenir.”

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À revoir le précédent film de Para One, le déjà superbe It Was on Earth That I Knew Joy, réalisé en 2009 alors donc qu’il n’avait pas encore découvert son secret, on est frappé de constater que tout était déjà là mais en désordre, incomplet, sans sa pierre d’achoppement – ou son point de capiton, pour parler comme Lacan, qui se serait sans doute amusé de cette histoire.

Références

Après cette épiphanie, le double projet, musical et cinématographique, s’est naturellement noué, pour former ce Spectre autofictionnel, “où l’imaginaire remplit les zones de vide et de mystère”, et où les références culturelles agissent comme des clés du labyrinthe – mais un labyrinthe où il fait bon se perdre, où les clés ne sont pas essentielles à la compréhension émotionnelle. Il y a les plus évidentes (Akira, Ghost in the Shell, Steve Reich, Gainsbourg…), dont il évoque la découverte et l’impact qu’elles ont eu sur lui, et d’autres, plus obscures, comme la musique sacrée catholique des années 1960 (Jacques Berthier, Pierre Henry), dont il sort un sublime coffret vinyle vintage (L’Évangile selon Saint Matthieu), d’un recoin de son studio, pour nous le montrer. 

Tout ce temps qui m’a amené jusqu’ici me paraît rétrospectivement écologique et justifié”, conclut Para One. “Mais je ne sais pas ce que je vais avoir envie de raconter après ça. Peut-être que maintenant que le film est sorti, je vais me prendre à rêver et que les nouvelles images vont venir ? C’est comme un disque dur, en fait, il faut faire de la place.” Faire de la place sur la Random Access Memory.

Spectre : Sanity, Madness and The Family de Para One, en salle le 20 octobre 2021.

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