En vue de l’investiture de Joe Biden et de la fin de la présidence Trump, Le HuffPost publie en français une sélection d’articles parus dans l’édition américaine du Huffington Post. Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Claire Bertrand pour Fast ForWord.
ÉTATS-UNIS – On peut dire sans crainte de se tromper que les partisans de Donald Trump qui ont mis à sac le Capitole américain le 6 janvier n’étaient pas fauchés ou mus par une angoisse économique profonde.
Les insurgés sont venus à Washington par avion. Ils ont logé dans des Airbnb et des suites de l’hôtel Embassy. Ils portaient des costumes, des armes et des iPhone. Certains étaient policiers. Il y avait des médecins, des avocats, un courtier immobilier, des enseignants et même une psychologue scolaire. Un PDG.
Bien sûr, certains auraient pu être d’anciens mineurs appauvris, comme de nombreux commentateurs ont décrit une partie des électeurs de Donald Trump. Mais ils ne vociféraient pas contre le déclin de l’économie carbonée. Les problématiques identitaires et de pouvoir étaient le ferment de cette émeute. Si angoisse économique il y a, elle était issue de la conception erronée des insurgés que leur place dans le monde est menacée.
Il faut arrêter de dire que les Américains blancs ont voté pour Donald Trump pour des intérêts économiques. L’attrait qu’il exerçait n’a jamais rien eu à voir avec l’argent. Le président sortant laisse d’ailleurs derrière lui une économie en ruines. Jeudi 14 janvier, on a enregistré 1,15 million de chômeurs supplémentaires.
L’insurrection était la manifestation violente d’un groupe d’hommes (majoritairement) blancs qui ont peur de perdre leur pouvoir. Pas seulement parce que leur sauveur s’en va, mais plus généralement parce qu’ils voient leur place au sommet du système de castes américain fragilisé.
Après quatre années de Donald Trump – et deux élections –, les sociologues et les instituts de sondages ont mené de nombreuses recherches dont les résultats invalident l’argument selon lequel les électeurs blancs de Donald Trump le soutiennent pour des raisons économiques. Ils démontrent que ses partisans ont peur de perdre leur statut social, leur place dans un pays où les Blancs seront bientôt minoritaires et où de nombreuses femmes ne pensent plus que les hommes sont faits pour diriger.
“C’est toujours la même chose“, explique Diana Mutz, professeure de science politique à l’Université de Pennsylvanie. “Les hommes blancs sont le groupe qui a eu le plus de pouvoir dans notre pays pendant très, très longtemps”. Elle ajoute qu’ils ont toujours énormément de pouvoir, mais que les choses changent et que “le changement est difficile“.
Isabel Wilkerson décrit ce phénomène avec une force effrayante dans son essai, “Caste”, paru en 2020. Elle y discute avec de nombreux chercheurs les motivations des électeurs blancs de Donald Trump.
Les partisans du président sont décrits comme des gens qui “ont l’impression qu’on leur coupe l’herbe sous le pied, que les avantages dont ils ont profité grâce à leur appartenance ethnique et à leur groupe social, ainsi que leur statut au sommet de la hiérarchie ethnique, sont menacés“.
Ils veulent revenir à un passé où “les hommes blancs se considéraient comme la quintessence de l’Amérique et où les femmes et les minorités savaient ‘rester à leur place’“, déclarait un professeur de sociologie de l’Université de New York à Thomas Edsall, journaliste au New York Times, le 13 janvier.
Il est vrai que le sexisme est au cœur des valeurs trumpistes: une étude publiée le 12 janvier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences montre que l’une des idées les plus répandues chez les partisans de Donald Trump n’est pas celle de déclassement social mais que ce sont les hommes qui doivent être aux commandes (et il n’y a pas que des hommes qui le pensent).
Les soulèvements politiques viennent souvent d’un groupe dépossédé qui cherche à obtenir davantage de droits.
Ce n’est pas ce qui s’est produit le 6 janvier.
Diana Mutz explique que la foule du Capitole se sentait menacée par la composition ethnique du pays, en mutation, et par le fait que leur chef serait bientôt remplacé par un gouvernement beaucoup plus ouvert à la diversité et l’inclusion.
Une étude qu’elle a publiée en 2018 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences montrait qu’en 2016, les électeurs de Donald Trump l’avaient fait par peur d’un déclassement ethnique et social, et non économique. Nombre de ces électeurs s’en sortaient mieux économiquement à l’époque.
L’idée qu’ils soient motivés par leur portefeuille vient probablement du fait que les Américains moins éduqués ont effectivement eu tendance à voter pour lui en 2016 et 2020, ajoute-t-elle. Mais leur principal moteur n’était pas, par exemple, le coût croissant de l’assurance santé. Une moindre éducation est corrélée à ce qu’elle appelle une “animosité de groupe“, la peur de l’autre.
L’élection de 2020 a démoli un autre mythe, celui de l’électeur trumpiste prolétaire. La majorité des Américains gagnant moins de 50.000 dollars par an ont voté pour Joe Biden, selon les sondages à la sortie des urnes, rendus publics en décembre. Ceux qui gagnaient plus de 100.000 dollars par an ont penché pour Donald Trump.
Ce qui est indéniable, c’est qu’une majorité de Blancs a choisi le président sortant.
Étrangement, ces électeurs ont affirmé que l’économie était leur priorité. C’est en partie parce que la plupart des Américains ne diront jamais qu’ils ont voté pour quelqu’un par peur de voir les Blancs perdre leur place dans le pays.
En novembre, le HuffPost préparait un article sur la façon dont les partisans de Donald Trump prétendaient que l’économie était leur priorité, à un moment où il était évident que celle-ci sombrait à cause de la pandémie incontrôlée. Angela Hanks, directrice déléguée chez Groundwork Collaborative, un groupe économique progressiste, estimait que “personne ne dira à un sondeur avoir voté par racisme ou ne qualifiera son vote de la sorte“.
C’est aussi parce que l’inquiétude économique est inexorablement liée à l’inquiétude ethnique, renchérit William Darity Jr., économiste à la Duke University, qui étudie les interactions entre ces deux éléments.
Les insurgés n’ont pas vraiment décroché économiquement. En revanche, ils ont peur que les Noirs réussissent mieux qu’eux. C’est le même genre de peur qui a provoqué une réaction violente face à la discrimination positive, il y a quelques décennies.
“On parle de personnes qui ont le sentiment que leur statut dans la hiérarchie est menacé”, ajoute-t-il. Avec d’autres chercheurs, il a montré qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène nouveau: les Blancs se sont révoltés pendant la Reconstruction, indignés à l’idée que les Noirs aient désormais des droits. Cette violence a débouché sur presque un siècle de répression.
“La prise d’assaut du Capitole la semaine dernière s’inscrit dans la lignée de la violence qui a miné la période de la Reconstruction”, conclut l’économiste.
À voir également sur Le HuffPost: Avant Washington, un autre Capitole avait déjà été envahi par des “patriotes” américains
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